Prédication du premier dimanche de l'Avent
d'Ariane Fragnon
Ce qui me frappe dans les textes du jour, c’est cette invitation à attendre. Aujourd’hui, c’est le premier dimanche de l’Avent et ça peut sembler banal de dire ça. Bien sûr que le temps de l’Avent est un temps d’attente.
Cette semaine, j’ai entendu une poète, Hosanna Wong, expliquer qu’en hébreu, le verbe attendre, quavah, n’est pas passif. Attendre, ça ne veut pas dire qu’on attend passivement que quelque chose arrive, comme un spectateur devant un événement sur lequel il n’a aucune prise.
Attendre, dans ce mot hébreu, ça veut dire « s’attendre à », « espérer que quelque chose arrive » [signe de la main qui indique la chose à venir]. Attendre la naissance de Jésus, ce n’est pas comme attendre dans la salle d’attente chez le docteur que ce soit notre tour, ce n’est pas un temps suspendu au téléphone en attendant que notre interlocuteur ait fini avec quelqu’un d’autre. Ce n’est pas du temps perdu. Il y a quelque chose d’important dans cette attente. Il y a quelque chose qui se passe.
Attendre, en hébreu, ça signifie aussi « tresser », comme on tresse des cheveux. Mais qu’est-ce que l’on tresse ? Dans ce geste [signe de la main qui indique la chose à venir], la main crée un espace entre nous et ce qui vient. Attendre, c’est faire de la place. Et dans cet espace, Dieu nous invite à tresser, à entrecroiser notre vie avec la sienne [mime le tressage], notre volonté avec la sienne, nos désirs avec les siens. Nous attendons que Dieu vienne parmi nous, mais Dieu nous attend aussi.
Ce qui me frappe, c’est que les textes nous donnent une sorte de mode d’emploi pour comprendre comment attendre.
La première lecture nous indique ce que l’on attend : l’accomplissement de la « parole de bonheur » que le Seigneur a adressée à la maison d’Israël. Wouaw. Dieu nous a fait une promesse de bonheur. On est loin des images d’un Dieu vengeur. Notre Dieu veut notre bonheur.
Et il accomplit cette parole en faisant « germer pour David un germe de justice ». Le germe, c’est Jésus, qui est accueilli par Joseph, qui est descendant de David. La Parole de bonheur, c’est Jésus. La Parole de bonheur, c’est le Verbe incarné. Notre bonheur, c’est une personne. L’accomplissement de la parole de bonheur du Seigneur, c’est la naissance de Jésus le Christ, qui vient « [exercer] dans le pays le droit et la justice ».
Dans la première lecture, Dieu montre qu’il tient sa promesse, qu’il est fidèle et qu’il vient nous sauver. Alors, à l’image du psalmiste, je peux Lui faire confiance et Lui demander de m’enseigner : « Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route ». S’il y a une seule personne à qui je peux faire confiance, c’est Lui.
La deuxième lecture nous donne une indication sur comment attendre, comment tresser notre vie à celle de Dieu. Saint Paul écrit : que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus. Dans cette prière, j’entends que pour tresser ma vie à celle du Seigneur, je suis invitée à lui demander de l’aide, je suis invitée à le prier. Dans la tresse, il y a des brins qui viennent de moi, et il y a des brins qui viennent de Lui. Et clairement, mon cœur ne va pas s’affermir tout seul. « Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant ». Je suis invitée à recevoir cet amour. Et tant mieux, parce que je ne sais pas pour vous, mais si le Seigneur ne me donne pas d’aimer ainsi, ma pente naturelle serait davantage de me laisser diviser. Aimer d’un amour de plus en plus débordant, c’est un don. Et je peux prier le Seigneur de me le donner.
Dans l’Evangile enfin. Comment attendre ? Comment tresser ? « Redressez-vous et relevez la tête ». Qu’est-ce que vous sentez quand vous vous redressez et que vous levez la tête ? Moi, je sens que je suis à la fois ancrée dans le sol et ouverte pour recevoir. Je ne suis pas comme ça [avachie], refermée sur moi.
Dans la tresse, il y a des brins qui viennent de Lui, et il y a des brins qui viennent de moi. On a vu que les brins de Dieu, ce sont sa promesse de justice, son don de l’amour en la personne de Jésus son Fils. Et mes brins à moi, quels sont-ils ?
Mon brin à moi, c’est de « me tenir sur mes gardes ». Pas dans le sens d’une hypervigilance, mais dans le sens d’une attention, celle de m’efforcer de ne pas me laisser distraire. Me tenir sur mes gardes, c’est fixer mon regard sur Dieu plutôt que sur la peur du « fracas de la mer et des flots », par la peur « de ce qui doit arriver au monde » que l’Evangile mentionne. Et pourtant, notre actualité, qu’elle soit géopolitique ou écologique, donne bien des raisons d’avoir peur.
Me tenir sur mes gardes, c’est sortir du pilote automatique pour remarquer ce qui vient me distraire. L’évangéliste nomme les « beuveries, ivresse et soucis de la vie », mais il n’y a pas que l’alcool qui peut distraire. Il y a aussi le scrolling sur nos téléphones, le travail acharné, la nourriture émotionnelle. L’inquiétude pour les soucis de la vie, est-ce que ce n’est pas une forme d’adoration de nos problèmes ? Dans mon expérience, les distractions m’évitent de ressentir l’inconfort de la peur et de l’angoisse, mais elles me détournent aussi de la Parole de bonheur de Dieu. C’est ça le « filet » dont parle l’Evangile : « tenez-vous sur vos gardes, de crainte […] que ce jour-là ne s’abatte sur vous à l’improviste comme un filet ». Lors de la venue du Seigneur, est-ce qu’il me trouvera distraite en train de scroller sur mon téléphone ? Ou est-ce qu’il me trouvera en train d’accuser réception de sa Parole de bonheur dans la prière ? De recevoir son Fils comme mon berger, qui vient me chercher quand je suis perdue, qui veut que j’aie la vie en abondance ?
Soit dit en passant, « priez en tout temps », ça ne veut pas forcément dire de passer nos journées à genoux en oraison. Toute activité, tout repos peut être prière. Prier, c’est écarter tout ce qui nous distrait de la présence et de l’amour de Dieu [geste de la main qui écarte].
Alors vous allez me dire : « Mais Ariane, il y a trois brins dans une tresse ! C’est quoi le troisième ? » Le troisième brin, c’est cet espace [geste de la main] que l’on cultive, c’est la relation. Mais si vous préférez, on peut dire que notre alliance avec Dieu est comme une étoffe. Sur le métier à tisser, il y a les fils de chaîne, les fils blancs verticaux qui servent de canevas, et il y a le fil de trame avec lequel on crée des motifs en passant la navette perpendiculairement. Les fils de chaîne, ce sont les dons de Dieu. Ils nous sont donnés, ils nous précèdent. Et nous, nous tissons l’étoffe avec la navette de nos choix, quand on se laisse, ou pas, rejoindre par cette promesse de bonheur.
Alors dans cette période de l’Avent qui commence, attendre la venue de Jésus, c’est tisser l’étoffe de notre alliance avec Dieu,attendre la venue de Jésus, c’est entrecroiser nos vies avec la Sienne,attendre la venue de Jésus, c’est passer notre navette entre les fils divins.
Et notre fil de trame, c’est de relever la tête [relève la tête] pour demander et accueillir le don de Dieu, c’est de faire de la place [geste de la main] dans ma vie et dans mon cœur,c’est me tenir sur mes gardes [j’ancre mes pieds dans le sol] pour ne pas me laisser distraire,c’est fixer mon regard sur Lui [je montre la Croix] comme antidote à la peur et à l’angoisse, car Il a promis.
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