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Méditation du 3ème dimanche de l'Avent - (Luc 3, 10-18)

Valdemar :


C’est avec surprise que nous avons reçu l’invitation de Christian à partager avec vous une méditation sur les textes d’aujourd’hui, dans le cadre de notre engagement à l’aumônerie de prison. Le premier pas, logiquement, a été celui de lire les textes. Premiers versets de la 1ère lecture : « Pousse des cris de joie… ». « Éclate en ovations », « Réjouis-toi… », car Dieu t’aime. Le cantique d’Isaïe et la lettre aux Philippiens vont dans la même direction ! Waouh ! Me suis-je dit ! On ne me facilite pas la tâche. Ce n’est pas ce que l’on vit le plus souvent en prison.


Alors que la semaine dernière l’Évangile nous parlait du désert, où l’on peut assez facilement faire un lien avec la prison – les personnes qui y vivent, sont privées de tout : leurs relations, leur famille et leur travail et même leur dignité – voilà qu’aujourd’hui, ces textes nous invitent à être dans la joie ! Et Christian me demande de mettre cela en relation avec ma mission d’aumônier en milieu carcéral….

Comment dire à celui qui est complètement écrasé par la souffrance, voire écrasé par le fait même d’exister, « réjouis-toi, Dieu t’aime » ? Lui dire, Dieu te rejoint dans ta souffrance, « tu n’as plus à craindre le malheur », alors que lui a déjà prié Dieu de toutes ses forces pour qu’il le soulage, pour qu’il le sauve et que le miracle ne s’est pas produit, mais qu’au contraire, c’est le silence absolu, cela peut sembler contradictoire et même blessant.


Un détenu, qui revenait d’une hospitalisation suite à une tentative de suicide, me disait dans sa cellule : « Je ne veux plus vivre ! J’en ai marre de ma vie. » J’ai alors osé lui demander s’il croyait en Dieu. Il m’a répondu que oui, mais que Dieu ne l’a jamais aidé. Ses parents l’ont toujours maltraité. Outre la violence qu’il a subie depuis qu’il se souvient d’exister, son père l’a violé. Placé de foyer en foyer pendant son adolescence, car « il était problématique, difficile », il entre dans le monde de la drogue. Plusieurs fois incarcéré, le voilà pris au piège dans un cercle vicieux. Sa mère lui a dit un jour : « Depuis que tu es né, notre vie est devenue un enfer. »

Après avoir longuement écouté son parcours de vie, je pense avoir compris que lorsqu’il me disait que Dieu ne l’a jamais aidé, il était en fait convaincu que Dieu ne l’aimait pas. J’ai tristement constaté que l’homme qui était devant moi n’a jamais reçu le moindre geste d’amour, de tendresse, ni de compréhension de la part de ceux qu’il avait aimés.

Tant de souffrances, tant de peines ! Je me sens alors, comme tant d’autres fois, désarmé, perturbé… Comment lui dire que Dieu l’aime ? Je suis là, envoyé par l’Église, poussé par ma foi en un Dieu miséricordieux et aimant, cependant je n’ose pas le lui dire, car même si je crois profondément que c’est vrai, le lui dire ne l’aidera pas et peut même être contre-productif. Je reste en silence, les larmes aux yeux, pendant un bon moment comme pour honorer son histoire, ce trésor qu’est la vie d’un homme, puis je lui dis : Mon Dieu, quelle vie de souffrances ! J’accueille, je respecte et je lui offre un instant de ma vie, de moi-même. J’en sors bouleversé…


Mais l’Evangile de Luc nous invite à nous poser la question : Que devons-nous faire ?

Jean-Baptiste donne la réponse : sortir de notre égoïsme et apprendre à partager, briser les schémas d'exploitation et d'immoralité, renoncer à la violence. Respecter dans toutes circonstances la dignité de nos frères et sœurs. Ceci, même lorsque la personne elle-même croit l’avoir perdue, comme c’est souvent le cas à la prison.


En fait, en réfléchissant sur les textes d’aujourd’hui, j’y découvre finalement un lien très intime : sortir de notre égoïsme, nous dit l’Evangile : c’est la première condition dans notre mission d’aumônier, car il faut se laisser dépouiller – dépouiller de nos certitudes qui risquent de nourrir nos jugements, dépouiller de notre arrogance, de nos suffisances, de nos rêves de toute puissance. Recueillir à longueur de temps la souffrance et se sentir impuissant, n’avoir rien à donner, mais s’offrir soi-même par la présence et l’écoute bienveillantes, voilà le chemin d’un aumônier. Un chemin de conversion intérieure et profonde. Un chemin aux cotés de tant d’hommes et de femmes déchirés par la vie. Un chemin de reconnaissance pour cette mission reçue. Et c’est peut-être là que nous pouvons trouver la joie profonde : elle n’est pas de l’ordre du bling bling ; la joie profonde, c’est une vie pleine, une vie qui a un sens, une vie qui connaît ses possibles et qui se sait aimée, bénie et appelée par Dieu.

Cette année, lors de mes vacances au Portugal, j’ai fait 3h de route pour rendre visite à un homme, libéré 3 mois auparavant après avoir purgé une peine de 14 ans et que j’ai pu accompagner pendant 7 ans. Quel accueil, quel sourire, QUELLE JOIE de voir un homme nouveau, un homme debout, un homme qui croit à nouveau que Dieu l’aime !



Angela :


Pour ma part, mon expérience avec le milieu carcéral, c’est d’avoir eu l’occasion pendant des années la joie de me rendre en prison pour vivre des célébrations avec les détenus. Prières, messes de la Toussaint, de Pâques ou encore de Noël. Les premières fois que j’y suis

entrée, j’étais impressionnée, perturbée par une ambiance pesante, comme si j’entrais dans un monde gris, sans couleurs. Pendant les célébrations, j’ai souvent été envahie par un sentiment de gratitude – reconnaissante de la vie que j’ai, de l’amour dont j’ai bénéficié et surtout aussi reconnaissante de pouvoir être là, au milieu de tous ces êtres humains, qui pour une petite heure ont la possibilité de goûter à un brin de joie, d’humanité et de miséricorde. Les voir chanter, applaudir, rire et remercier notre équipe de manière profonde et authentique, c’est comme une bouffée d’air frais, comme si avec un pinceau on venait emplir ces gens, la chapelle, de couleurs éclatantes et que Dieu nous disait : « Réjouissez-vous, je vous aime ».


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