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INTERVIEW DU PÈRE MICHAEL LAPSEY


Père Michael, nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau au Luxembourg en mars. Vous venez pour animer diverses activités de guérison des mémoires. Comme vous le savez, le thème du numéro actuel du bulletin du Christ-Roi est "Recevoir et donner". Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur ce thème ?

Je me réjouis beaucoup à l'idée de me retrouver dans un de mes chez moi, la communauté du Christ-Roi, avec laquelle j'ai partagé tant de moments privilégiés. Je souhaite réagir sur ce thème "Recevoir et donner" à la lumière du travail dans lequel je suis engagé et qui consiste, en grande partie, à écouter la douleur de la famille humaine. Je pense que l'une des raisons pour lesquelles tant de personnes fréquentent la chapelle des pères jésuites est la manière dont ils sont reçus, le fait qu'ils se sentent accueillis et reconnus, quel que soit leur âge ou leur origine. L'une de nos vocations, en tant que disciples de Jésus, est d’écouter les histoires de nos vies. Nous voyons dans l'Évangile que Jésus a écouté les gens, les a pris au sérieux, les a traités avec dignité. Nous sommes appelés à faire de même. Parfois, nous ne sommes pas capables de donner aux autres en raison de nos propres blessures, qui peuvent nous consumer. Pour nombre de gens, le fait qu’on ait bien voulu entendre leur histoire peut être le début d'un cheminement vers la guérison et la plénitude. Il est intéressant de noter que, dans le Nouveau Testament, la guérison est toujours liée à l’engagement de disciple. Une fois guéries, les personnes suivent Jésus sur son chemin. En tant que paroissiens, plus nous sommes engagés sur notre propre chemin vers la guérison et la plénitude, plus nos cœurs peuvent s'ouvrir, nous permettant d’accompagner d’autres sur leur chemin de guérison. Dans les communautés de foi, nous sommes, en quelque sorte, des blessés ambulants – tous blessés, de manières différentes, visibles et invisibles. Mais, lorsque les blessés ambulants que nous sommes arrivent à s’engager sur les chemins de la guérison, nous pouvons être les compagnons de route d'autres personnes avec leurs blessures.

Nos lecteurs savent que vous animez de nombreux ateliers de guérison des mémoires pour des publics divers – détenus, réfugiés, grand public … – mais ils ne connaissent peut-être pas vos autres activités. Par exemple, votre Institut en Afrique du Sud organisera, fin mars, une conférence internationale sur le thème "Accompagner les vétérans militaires". Pourquoi avez-vous choisi ce thème et quel est son lien avec votre travail de guérison ?

Ce thème découle de notre histoire. Lorsque le travail de guérison des mémoires a commencé, il s’agissait d’un programme du « Trauma Centre » (Centre de soins pour les victimes de la violence et de la torture) du Cap. C’était en 1992-93. Nos exilés retrouvaient le chemin du pays. Nos prisons se vidaient de leurs prisonniers politiques. L’accompagnement des vétérans militaires et des combattants du mouvement de libération a fait partie, dès le début, du travail de l'Institut pour la guérison des mémoires. Souvent ils avaient le sentiment double de s'être battus pour la liberté, pour quelque chose de noble, tout en sachant qu’ils avaient parfois agi contre leur propre conscience. Cela les hantait. Beaucoup d’entre eux recherchaient un lieu où leurs sacrifices seraient reconnus et respectés, mais en même temps des espaces de confiance pour pouvoir évoquer ce dont ils se sentaient coupables et honteux. Les années ont passé et ce travail a diminué au fur et à mesure que ces personnes arrivaient à gérer leur vie. De notre côté, nous avons diversifié nos activités, nous engageant pour les réfugiés venant d’autres pays, pour les personnes touchées par le VIH/sida, pour les victimes des violences politiques dans certaines régions. Ensuite, il y a quelques années, un groupe de vétérans militaires nous a contactés. Évidemment, beaucoup de vétérans qui avaient été des leaders de la lutte pour la libération étaient devenus ministres, responsables politiques. Mais, comme dans tant d’autres mouvements de libération, le militant de base s’est retrouvé seul à gérer ses blessures – émotionnelles, psychologiques, spirituelles – et a eu du mal à se réintégrer. Et ses proches lui disaient « Pourquoi t’être sacrifié ? Nous vivons dans des conditions de pauvreté, sans emploi. Regarde où cela nous a menés ! » Nous avons donc commencé à accompagner les vétérans militaires d’une nouvelle manière.

Nous travaillons également, depuis de nombreuses années, avec des vétérans militaires aux États-Unis d'Amérique. Quand est-ce que les États-Unis n’ont pas été en guerre avec un autre pays ? Mais c’est surtout à la suite de la guerre du Vietnam que des militaires nous ont demandé un accompagnement, une génération plus tard. Cela constitue une de nos activités principales en Amérique.

Au Sri Lanka, nous avons travaillé avec des militaires de l’armée, mais aussi avec d’anciens Tigres tamouls. L’accompagnement des vétérans fait donc partie de nos préoccupations au niveau international.

Ce qui est intéressant dans ce genre d’accompagnement en Afrique du Sud, c’est qu’il s’adresse tant aux anciens membres des forces de libération qu’aux militaires du régime de l'apartheid. Ces vétérans qui, à l’époque, se tiraient dessus se retrouvent à présent dans le même atelier à se raconter leurs histoires de vie. Il reste souvent entre eux de profondes différences idéologiques, mais ils ont ceci en commun qu’ils ont combattu pour leurs convictions et qu’ils ont été endommagés par la guerre. C’est sans doute l’élément qui manque à notre travail aux États-Unis : la partie adverse est absente des ateliers que nous organisons.

C’est ainsi que, ayant cheminé aux côtés des vétérans, nous avons décidé d’organiser cette conférence internationale où ils pourront apprendre de leurs expériences mutuelles et peut-être se sentir moins isolés. Ce sont eux qui connaissent le vrai coût de la guerre et qui peuvent être des témoins importants pour la paix. La guerre, qu’elle soit injuste ou très juste, provoque toujours des blessures profondes, qui sont ressenties sur plusieurs générations.

Voilà le contexte de cette initiative. Je trouve important d’employer le mot « accompagnement » pour souligner que les vétérans militaires en sont les protagonistes. C’est à eux de se mobiliser pour trouver leur place dans la société. Nous sommes leurs compagnons de route. En Afrique du Sud, ils ont témoigné que, trop souvent, le gouvernement agit pour eux, et non avec eux. Nous sommes très heureux de permettre à ces personnes de se rassembler, de rêver avec eux et d’organiser ensemble des programmes de collaboration sur le plan national et international.

Comme tant d’autres paroisses et communautés catholiques dans le monde entier, notre communauté du Christ-Roi participe « processus synodal ».

En tant que prêtre et religieux de la Communion anglicane, comment voyez-vous cette démarche qui se déroule actuellement au sein de l'Eglise catholique ?

Le mot "synode" me parle particulièrement, en effet, en tant qu'anglican, car la gouvernance synodale est un élément clé de la manière dont l'Église anglicane gère ses affaires. Nous parlons de "l'évêque en synode avec les prêtres et le peuple", ensemble. C'est cela l'Église. L'Église, ce n'est pas l'évêque, ce ne sont pas les prêtres, ce ne sont pas les fidèles. L'Église, c'est nous tous ensemble. Mais souvent notre gouvernement synodal est perçu avant tout comme un processus législatif, à l’image du parlement britannique (ce qui n'a rien de surprenant, vu l’histoire de l’Église anglicane). Pour moi, ce qui est passionnant dans ce que j’entends sur la démarche synodale de l'Église catholique, c'est que le pape François, comme le pape Jean XXIII lors du Concile Vatican II, a ouvert les portes en disant "écoutons la voix de l'Esprit", et l'Esprit parle par la voix de l’ensemble du peuple de Dieu. D'une certaine manière, il s'agit de prendre la température de la situation actuelle du peuple de Dieu, mais aussi de comprendre qu’une fois les portes ouvertes, elle ne pourront plus être fermées ! C'est un acte de foi et d’espérance. Cela est également lié à ce que je disais sur la guérison des mémoires. Le Saint-Père a beaucoup parlé du problème du cléricalisme dans l'Église. Et la démarche actuelle est tout le contraire ! Il s'agit, pour ceux qui en sont les ministres, d'écouter le peuple de Dieu, d'écouter, écouter, écouter. Et, comme nous le disons souvent dans notre travail de guérison des mémoires, il est important non seulement d'écouter, mais aussi d'entendre. Entendre les souffrances, la frustration, voire la colère du peuple de Dieu, mais aussi ses espoirs, ses joies et ses visions. Et reconnaître le rôle à part entière des femmes, en tant que participantes égales. La processus actuel nous montre également que l'Esprit Saint de Dieu n'en a pas fini avec l'Église catholique. Je pense que c'est un moment enthousiasmant, et je souhaite à mes sœurs et frères de l'Église catholique romaine plein succès dans cette démarche. En effet, même si nous connaissons un certain processus synodal depuis des centaines d'années, nous avons besoin de voir s’ouvrir les fenêtres pour faire entrer de l’air frais. Ainsi, nous aussi, membres d'autres Églises, apprendrons de l’expérience de la démarche synodale catholique. À mon avis, cela contribuera à un approfondissement de l'œcuménisme et de la collaboration avec les autres religions.



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