Homélie du dimanche de la Sainte Famille B - Luc 2, 22-40

Parmi les souvenirs que Marie méditait en son cœur : celui-ci. Avec Joseph, ils ont accompli le rite prescrit par la loi de Moïse. Ils se placent avec Jésus au milieu de leur peuple, parmi les jeunes parents qui présentent leur fils premier-né aux anciens. Une famille que rien, sauf sans doute sa pauvreté, ne distingue dans la foule. L'Imitation de Jésus-Christ affirmera : “ aime être méconnu et tenu pour rien ”. Voilà ce que vivent Marie, Joseph et l'enfant qu'ils présentent au Seigneur. La Loi veut que tout garçon premier-né, parce qu’appartenant au Seigneur, soit racheté. Ce ne sera que l’offrande des pauvres, un couple de tourterelles, que ses parents pourront apporter pour racheter celui qui vient nous enrichir de sa pauvreté et racheter l’humanité au prix de son propre sang.
L’accomplissement s'inaugure dans l'offrande obscure et muette et pourtant combien parlante. Une scène donc, où peut se lire tout ce que sera la vie du Christ : tu accomplis dans ta chair la loi et les prophètes, tu rachètes chacun par le sacrifice de ta propre vie, tu te (me) présentes au Père... Dans la faiblesse et l'obéissance, tu te révèles Seigneur. Aucun doute : ses entrées à Jérusalem sont toujours parmi les plus humbles. Quand le Seigneur de la gloire entre dans la ville sainte, il s’assied sur un petit âne ou se laisse, petit enfant encore, porter dans les bras de ses parents. Présenté en ce jour au Seigneur dans le Temple de Jérusalem, Jésus se soumet aux exigences de la Loi et aux coutumes ; il laisse faire, pour accomplir, déjà, toute justice. Il ne triche en rien ; il traversera toutes les étapes d’un petit en Israël.
"Le Seigneur dit au livre de l’Exode (Ex 13) : Consacre-moi tout premier-né... Tu feras passer au Seigneur tout ce qui ouvre le sein maternel... Tout premier-né d'homme, parmi tes fils, tu le rachèteras". Pour les Anciens, l'enfant était d'abord un cadeau de Dieu à demander et accueillir avec respect. Symboliquement on offrait à Dieu un sacrifice pour concrétiser cette conviction : notre fils est à l'image de Dieu, le Seigneur nous le confie, il le place sous notre garde. A nous de préserver cette image, de l'élever dans cette foi, de le rendre conscient de ce privilège, de l'assurer de sa grandeur. A nous, parents, de ne pas nous croire propriétaires : l'enfant n'est jamais une chose mais un sujet, un don de Dieu.
Dans le temple de Jérusalem, a lieu la rencontre entre la bienveillance de Dieu et l'attente du peuple élu. Le prêtre de service a accompli sa tâche sans rien remarquer ; il ne reconnaît pas le Fils qui entre, pour la première fois, dans la Maison de son Père. De même, plus tard, Jésus ne sera pas reconnu par les grands prêtres. Ce sont deux laïcs, âgés, qui, les premiers, vont percer le secret de cet enfant.
Au seuil du Temple, au seuil qui sépare les siècles de la plénitude des temps, se tiennent deux vieillards, les bras levés et ouverts à l’accueil et à la louange, le regard illuminé par l’Esprit et la prière, pour reconnaître dans l’enfant, le Libérateur, la Lumière des nations, la Gloire d’Israël. Quel moment émouvant et symbolique : ce vieil homme, témoin d'une attente qui n'a jamais désespéré, prend dans ses bras cet enfant pauvre et reconnaît en lui “ le Messie du Seigneur ”. Quelle grande grâce que de reconnaître le Seigneur dans la simplicité et la plus grande faiblesse, comment la divinité se cache dans cette humanité. « Car mes yeux ont vu ton salut ».
Il s'appelle Siméon ("l'écoutant") ; il est juste (c.à.d. "ajusté" au projet de Dieu,) ; religieux (c.à.d. un homme de prière) ; il attend la Consolation d'Israël (manière, inspirée d'Isaïe 40, de désigner le salut : c'est un homme d'espérance) ; un vieil homme qui n'est que désir. Ajusté à l'Esprit, il peut reconnaître la lumière quand elle vient, comme elle vient. Il voit parce qu'il croit (pas l'inverse !). Ouvert au projet de Dieu sur tous, il se dessaisit de sa propre vie, tout comme son Maître, nouveau-né dans ses bras. Et voici Anne : une femme de 84 ans, qui surgit comme un grand vent de louange et prophétise.
Quand la lumière parait, elle fait la vérité, révèle nos ténèbres secrètes et nos propres divisions. Le Christ, notre lumière, notre soleil, est le salut. Ca ne se fera pas sans heurts. Siméon déclare que Jésus est un signe de division. C’est-à-dire qu’il oblige à faire des choix, à prendre position. C’est parfois difficile et douloureux, ça transperce le cœur, mais Dieu nous accompagne. Il console. Consoler, c’est être là.
Un jour, loin du Temple de Jérusalem, se croiseront sur sa croix chute et relèvement, division et consolation. Aujourd’hui présenté au Seigneur, dans la lumière voilée de sa passion, alors que doivent diminuer les ombres de la mort, il faut que l’enfant grandisse. Il est remis entre nos mains comme une source de salut, comme un avenir à faire grandir.
Et maintenant que cet Enfant grandisse dans vos cœurs. Vous avez commencé à croire ? Il est né de vous. Mais le Christ n’est pas demeuré à l’état d’enfant : il a grandi sans jamais connaître le déclin : il faut que votre foi grandisse, qu’elle soit forte, et que jamais elle ne connaisse la vieillesse ; et ainsi vous appartiendrez au Christ (saint Augustin : sermon 370, 4).