Homélie du 3 décembre -2ème dimanche de l'Avent — Année A (Mathieu 3, 1-12)

Avez-vous remarqué qu’aucun des textes lus aujourd’hui ne nous montre un Christ descendant du ciel ? On le voit au contraire monter de la terre, comme une plante : n’est-il pas la tige de l’arbre de Jessé, « un rejeton jailli de ses racines » ? Mais si le Christ monte de la terre jusqu’à être élevé au-dessus d’elle, c’est qu’il était déjà présent en toutes choses, depuis toujours. À la racine de tout, il y a la Parole, et ce « tout » culmine dans l’humanité dont le Christ est l’accomplissement. Il est « le Fils de l’homme », l’être parfait que l’homme met au monde. Cela signifie que Dieu et l’homme sont intimement mêlés depuis le commencement : Genèse, au chapitre 2, voyait déjà l’homme animé par le souffle de Dieu.
Dans La Vie cosmique, Teilhard de Chardin écrit : « Dès l’origine des choses, un Avent de recueillement et de labeur a commencé, au cours duquel, docilement et amoureusement, les déterminismes se ployaient et s’orientaient dans la préparation d’un Fruit inespéré et pourtant attendu. [...] Les Énergies et les Substances du monde se concentraient et s’épuraient dans la tige de Jessé ».
La première lecture dans le livre d’Isaïe, est toute au futur. Elle nous annonce que nous marchons vers le temps de la réconciliation. Sur ce chemin, il y a des changements majeurs : la naissance du peuple élu, la venue du Christ, son retour, mais entre ces grandes étapes, le temps n’est pas immobile : il y a cheminement, progression, maturation. Notre foi chrétienne, tout comme notre aventure personnelle d’ailleurs, nous met devant les yeux cette marche du temps vers « ce qui vient ». Comme ce qui vient n’est pas encore là, c’est pour nous l’inconnu. Dans la prédication du Baptiste, dans l’évangile de Jean, on lit « il y a au milieu de vous celui que vous ne connaissez pas ». Ce qui arrive surprend toujours car c’est nouveau.
Notre problème est que nous avons du mal à nous faire à ce « nouveau » qui arrive sans cesse. Nous nous sentons en sécurité quand rien ne bouge. Nous avons nos principes, nos certitudes, nos habitudes. Mal contents de nous, déçus par la vie et par nous-mêmes, nous n’osons pas imaginer que nous pourrions changer, devenir autres, que des routes pourraient s’ouvrir, qu’un départ serait possible. Or, nous avons à être sans cesse en instance de « départ », à nous modifier pour être en résonance avec ce qui vient. C’est la conversion, par laquelle nous lâchons un passé pour nous tourner vers du nouveau. Les pharisiens de l’évangile restent fixés à leur passé ; ils s’appuient sur leur généalogie : « Nous avons Abraham pour père ». La fixation au père est anti-biblique. Abraham est tourné vers Isaac, le fils de la promesse. Jean Baptiste a pour mission de ramener les pères vers les enfants. C’est-à-dire vers ce qui naît, vers ce qui vient. L’enfant, c’est l’avenir. Le Fils par excellence, le Christ, c’est l’avenir absolu.
On ne peut cependant accéder au Christ, entrer dans le Royaume, en admettant dans sa vie n’importe quoi. A la lumière de ce mystère qui se dévoile, on comprend qu’on ne peut à la fois se dire chrétien et se livrer à la xénophobie, même au nom de la civilisation chrétienne. Ceux qui refusent l’étranger et sa culture recopient l’attitude des enfants d’Israël refusant l’entrée des païens dans leur héritage.
Voilà, finalement, la conversion que réclame le Baptiste : admettre qu’avec des pierres Dieu peut faire des enfants d’Abraham. L’Esprit dépasse Israël, et toute communauté humaine particulière. Il dépasse largement notre Église. Il atteint les extrémités du monde et les extrémités de l’homme ; il est « répandu sur toute chair ». Le « Baptême dans l’Esprit » qu’annonce Jean nous reconstruit aux dimensions de l’Esprit, qui ne se mesurent pas : l’Esprit n’a pas de limites. Désormais, la ligne de démarcation, le coup de crible (v. 12) sépare les hommes catholiques (c’est-à-dire les hommes de l’universel) des hommes enfermés dans leurs particularismes égoïstes. Les Pharisiens sont les « séparés » (sens du mot pharisien) ; les Sadducéens sont les hommes cantonnés dans le culte du Temple. Les deux sont qualifiés de « fils de la vipère », l’antique serpent qui a réussi à persuader l’homme que Dieu n’est pas amour.
Teilhard de Chardin écrit encore : « Et depuis que Jésus est né, qu’il a fini de grandir, qu’il est mort, tout a continué de se mouvoir parce que le Christ n’a pas achevé de se former. Il n’a pas ramené à lui les derniers plis de la robe de chair et d’amour que lui forment les fidèles...
« Convertissez-vous », cela signifie : vous pouvez changer. Votre passé ne vous enferme pas, du nouveau peut advenir dans votre esprit et dans votre corps. Les chemins tortueux peuvent devenir droits et les escarpements s’aplanir. Il y a là pour chacun de nous une lumière, l’ouverture d’une espérance et aussi la naissance d’un désir.
Profitons de l’Avent pour convertir nos désirs immédiats et parfois peu critiqués d’un appartement plus confortable, d’un revenu plus élevé, d’un poste plus gratifiant et même d’une meilleure santé pour réaliser que tout cela cache un désir plus fondamental : nous ouvrir à l’inattendu.
Chaque fois qu’un homme, quelque part, accomplit un geste de paix, d’amour, de réconciliation, le « Royaume » est là, « mis au monde ».