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Homélie du 9 octobre - 28 ème dimanche du temps ordinaire— Année C (Luc 17, 11-19)



La lèpre partout. Il faut rappeler que la lèpre, maladie bien réelle, est aussi une

maladie symbolique. Elle signifie le péché. Pourquoi ? Certainement parce

qu’elle est contagieuse (le mal appelle le mal) et surtout parce qu’elle isole. Le

péché est en effet rupture de la communion, de la solidarité, comme la lèpre,

qui marginalise celui qui en est atteint. Comme la lèpre-maladie, la lèpre-péché

sévit partout : en Israël et hors d’Israël. Nos lectures mettent en scène un

étranger, pour nous dire, entre autres choses, que la guérison qui vient par

Israël (Élisée, Jésus) s’étend hors d’Israël : la lèpre est partout, et la guérison

agit partout. Paul écrit : « Tous enfermés dans le péché (juifs et païens) pour

qu’il soit fait grâce à tous. »

Comment cela ? De fait, c’est à l’entrée d’un village que Jésus entend qu’on

l’appelle : « Jésus, maître, prends pitié de nous ! » Dix lépreux sont là,

compagnons de misère, mais décidés à saisir la chance de leur vie, la dernière

chance, puisqu’ils sont rejetés des hommes. Ils se tiennent à distance, par

habitude, par crainte, peut-être, de mettre Jésus mal à l’aise en osant

s’approcher ; et jamais la distance n’a dû leur paraître si dure à supporter.

Le récit des dix lépreux est construit à partir de l’opposition distance-proximité.

Les lépreux se tiennent à distance. Jésus leur parle de loin ; pas de contact

entre eux et lui. Seule sa parole franchit l’intervalle. Une parole qui leur

demande d’aller se montrer aux prêtres (d’après le Lévitique). À la distance

dans l’espace se superpose une distance dans le temps : les dix lépreux doivent

anticiper leur guérison et se comporter tout de suite comme s’ils étaient déjà

guéris : ils ont à se transporter, sur la parole de Jésus, à l’heure de

l’accomplissement. Il n’y a pas de foi sans cette certitude de la réponse de Dieu

dès que la prière est formulée. Autre distance : celle qui sépare le Samaritain,

l’étranger, d’Israël ; donc de Jésus. Toutes ces distances vont être franchies.

Nous imaginons sans cesse qu’une distance nous sépare du Christ. Or jamais le

Christ n’est plus proche que lorsque nous souffrons, lorsque nous sentons le

poids de la solitude et que nous nous croyons coupés de tout secours humain.

Et Jésus ne brusque rien. Il respecte la gêne des lépreux, qui se sentent si laids

et si peu agréables. Il ne leur dit pas : « Approchez, approchez donc ; je vais

vous guérir ! », mais, avec beaucoup de douceur et de doigté : « Allez vous

montrer aux prêtres. »


« Allez … pour le constat ! » Jésus leur demande un acte de confiance, de foi

total : se mettre en route pour le constat de guérison, alors que leur lèpre est

encore là, sous leurs yeux, qui leur ronge la chair. Ils partent néanmoins, sur la

seule parole de Jésus.

Quelques instants plus tard, c’est la guérison, subite, complète, pour les dix en

même temps. Les dix ont cru ; mais un seul a remercié : le plus pauvre, le plus

méprisé de tous, le seul samaritain de la petite bande de lépreux. Les neuf ont

reçu le cadeau du Christ, et cela leur a semblé normal. La bonté de Dieu ne les

a pas tirés de leur égoïsme ; ils ont saisi avidement le bienfait, sans entendre

l’appel ; ils n’ont pas compris qu’à travers cette guérison, Jésus leur faisait

signe, que Dieu les libérait pour la louange et le service.

Le samaritain, lui, est revenu, oubliant le constat ; il est revenu, fou de joie,

parlant tout haut et ne cessant pas de remercier Dieu. Il a pris conscience que

le Christ l’aimait au point de le guérir, et devant cette évidence bouleversante :

« tel que je suis, Jésus m’a aimé », il vient se prosterner aux pieds du Maître,

pour lui dire avec son corps guéri, avec son cœur soudain adouci par la joie, le

merci qui n’est dû qu’à Dieu.

Cependant, il ne faut pas oublier que depuis le chapitre 9 de Luc, nous sommes

en route pour Jérusalem où Jésus sera crucifié, et que tous les textes que nous

lisons à partir de là baignent dans cette ambiance. C’est bien pour cela que Luc,

de temps en temps nous rappelle, comme ici, que l’on est en route vers

Jérusalem. Là, Jésus connaîtra le sort des malfaiteurs. Paul dira qu’il s’est fait

péché. En Isaïe 53, le serviteur de Dieu, celui qui porte le mal du monde, est

décrit sous les traits d’un lépreux, d’un « frappé de Dieu ». Bien sûr, le Nouveau

Testament fait de nombreuses allusions à ce texte. Disons que si les lépreux de

notre lecture peuvent être guéris, c’est parce que le Christ a pris sur lui leur

déchéance. C’est bien pour cela qu’à la suite du lépreux sauvé, nous venons

nous aussi « rendre grâces », ce qui se dit « Eucharistie ».

Le dixième lépreux ne s’est pas emparé jalousement du don reçu — la santé —

en laissant de côté la source du don, le Christ. Il a effectué le retour, il est

revenu et la personne de Jésus est devenue pour lui plus importante que le don

reçu. Aussi il entend les mots de la Pâque, de la résurrection : « relève-toi » et

« va ». Des autres, il est dit seulement qu’ils sont « guéris » (verset 14). Lui il est

dit « sauvé », parce que la foi ne l’a pas seulement amené à la santé, mais à

Dieu.

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