Homélie du 25 septembre - 26ème dimanche du temps ordinaire— Année C (Luc 16, 19-31)

Le prophète Amos s’emporte contre les riches. Ce qu’il leur reproche, c’est leur cynisme : non seulement ils vivent bien, mais il leur faut les meilleurs agneaux, les veaux les plus tendres ; ils boivent le vin, non dans la coupe, mais goulûment, à même les amphores ; couchés, vautrés - sans se tourmenter du désastre imminent de tout le peuple d’Israël. Mais le jugement est proche. Malheur à eux ! Ils se croient en sécurité ; ce seront eux les premiers déportés.
Ce que notre Occident se permet de luxe et de gaspillage peut très bien lui préparer des lendemains terribles. Des paroles qui résonnent dans notre actualité de crise. Ces fortes attaques et l’annonce d’un désastre qui va retourner le sort, préparent l’évangile du retournement de situation entre le riche et le pauvre Lazare.
Le drame de l'homme riche de la parabole est qu'il vit dans un monde où plaisirs et satisfaction l'enferment en lui-même et font en sorte qu'il est incapable de voir celui, tout proche, « couché devant son portail », qui est dans le plus complet dénuement. Amos, le prophète d'Israël, a fait retentir pour les siècles la tristesse de Dieu devant ceux que la richesse enferme et coupe des plus pauvres : « Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. »
Manière de dire : vous êtes bien au chaud, tout contents dans votre confort et même votre luxe... eh bien moi, je ne partage pas votre inconscience, je vous plains. Je vous plains parce que vous n'avez rien compris : vous êtes comme des gens qui se mettraient sous leur couette pour ne pas voir arriver le cyclone. Le cyclone, ce sera l'écroulement de toute cette société, quelques années plus tard, l'écrasement par les Assyriens, la mort de beaucoup d'entre vous et la déportation de ceux qui restent... « Je vous plains », dit sur ce ton-là, c'est quelque chose qu'on n'aime pas entendre !
Nous sommes là dans un monde désespérément divisé où chacun ignore l’autre. Le pauvre est en dehors du jardin du riche et ne fait donc pas partie de son univers. Le pauvre est trop cassé par la maladie et la pauvreté pour espérer un secours quelconque.
Seul Dieu pourrait changer les choses ! Mais il n’y a pas trace de Dieu dans ce récit, ni en enfer, ce qui est normal, ni au paradis ce qui est surprenant, ni même dans la vie ordinaire des deux hommes. C’est parce que Dieu semble absent de ce récit que l’enfer y paraît si cruel et le paradis assez fade. Mais nous ne pouvons en rester là. Il est impensable que Dieu n’ait pas sa place dans ce texte. Il doit certainement se cacher quelque part, mais où se cache-t-il ?
D’abord, le pauvre a un nom : « Lazare » ce qui veut dire « Dieu aide» et cela, déjà, est tout un programme : Dieu aide, non parce que Lazare est vertueux, on n'en sait rien, mais parce qu'il est pauvre, tout simplement.
Alors qu’il est dans la tourmente de l’enfer, le riche lève la tête et voit Lazare.
Et voici que le verbe « voir » fait tout à coup son apparition dans ce texte. Tout peut alors devenir différent, car Dieu devient visible. Il se fait présent quand les hommes acceptent de se voir. L’usage du verbe voir permet à l’espérance de pointer son nez. Et avec l’espérance, c’est Dieu qui fait son entrée et rend l’avenir possible. Jésus laisse entendre que c’est dans le regard de l’autre que l’on découvre celui de Dieu.
Mais dans cette histoire, c’est trop tard. L’autre, le prochain quel qu’il soit, c’est celui qui a besoin qu’on le voit pour qu’il puisse vivre. Mais cela doit se faire dans le monde des vivants et non dans celui des morts ! Celui qui voit, ne peut continuer à vivre sans mettre en œuvre ce qui est nécessaire pour que la situation se retourne vraiment et que la situation de mort devienne une situation de vie. Le Pape François nous encourage ainsi : « Nous devons nous bouger vers nos frères et sœurs, et surtout vers ceux qui sont les plus éloignés, ceux qui sont oubliés, ceux qui ont besoin de compréhension, de consolation, d'aide. »
C’est le regard que nous portons sur les autres qui nous révèle la présence de Dieu. C’est quand l’homme découvre le visage de son frère que la réalité de Dieu lui est révélée. Dieu personne ne l'a vu. Il est difficile d'aimer celui que l'on ne voit pas. Le pauvre on le voit, on peut donc l'aimer. Le pape François nous demande de regarder dans les yeux un nécessiteux lorsque nous faisons l’aumône. Et même d’avoir un contact physique avec lui, de toucher « la main du pauvre » plutôt que de lui jeter la pièce de monnaie pour essayer de le « rencontrer » vraiment. Il en est ainsi des malades, des réfugiés, etc.
L’apôtre Paul écrit à Timothée : « le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le seul qui possède l'immortalité, lui qui habite la lumière inaccessible, lui que personne n'a jamais vu, et que personne ne peut voir ». En Jésus le Christ, il n'a pas attendu que nous allions vers Lui, mais c'est lui qui s'est bougé vers nous, sans calcul, sans mesure.
Dieu est comme ça : Lui, fait toujours le premier pas.