Méditation du Jeudi Saint A - Jean 13, 1-15

Le grand mystère que nous célébrons ces trois prochains jours, résume toute la mission de l’Incarnation. Il tient pourtant en quelques mots : Jésus est celui qui nous a aimés. On ne peut rien dire d’autre de lui que cela : il a aimé. Aimé parfaitement, aimé jusqu’au bout. Saint Jean l’annonce ainsi : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Tout est dit. Tout va être accompli. Jésus connaît sa mission et il accepte son « heure ». Il va montrer au monde l'immense, l'inimaginable amour du Père qui donne son Fils et du Fils qui se livre librement. Il prend la place du « serviteur » universel, serviteur souffrant sur la croix devant toutes les nations, serviteur dans l'intimité des siens.
« Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue... » Y a-t-il, dans tous les évangiles, un commencement plus solennel que celui-là ? Et pour nous annoncer quoi ? Que Jésus prit un linge... et lava les pieds de ses disciples ; donc pour nous présenter une activité de tous les jours, prosaïque s'il en est dans un pays de poussière comme la Palestine.... Solennité qui traduit la gravité de l'heure de Jésus. Il a tout reçu du Père, Il a aimé les siens, Il va les aimer jusqu'au bout. Et, en contraste l'humilité du geste raconté, le lavement des pieds : des choses simples, un linge, une bassine...
Jésus quitte d’abord la table qu’il présidait. Nous voyons le Verbe de Dieu qui ne retient pas sa dignité et accepte volontairement l’abaissement. Jésus dépose ensuite son vêtement. Il nous l’a enseigné : le Bon Berger dépose sa vie, il s’en dessaisit. Puis Jésus lave les pieds de ses disciples. Nous y voyons le geste humiliant de l’esclave ; nous voyons en tous cas que Jésus a choisi la dernière place. C’est en plongeant en cet abîme d’humilité que Jésus mène à son terme la mission du salut que le Père lui a confiée. En cette heure où il entre librement dans sa Passion, en cette heure où le Père a tout remis entre ses mains, notre Seigneur manifeste une autorité qui se traduit dans l’humilité du Serviteur. Ce que nous contemplons ce soir est le mystère de Jésus Serviteur du Père : sorti de Dieu qui l’a envoyé, Jésus, par la Croix, retourne vers lui avec le monde, pour le monde. Jésus n’a voulu qu’une chose : se mettre à notre service. Ce geste nous révèle le sens de sa vie !
Inadmissible ce geste, impensable. Me laver les pieds. Seigneur, jamais ! L’attitude de saint Pierre est d’abord superficielle : « Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds ! ». Pierre refuse le chemin d’humilité où Jésus s’engage et où il l’appellera. Mais Pierre ne refuse pas l’enseignement de Jésus en bloc. Son « Toi, Seigneur » montre qu’il refuse que ce soit Jésus, le Seigneur, qui prenne cette place. S’il est aussi vif, c’est parce qu’il est personnellement impliqué, parce qu’il est personnellement ébranlé. L’image qu’il avait de Jésus comme Seigneur ne lui permet pas de supporter ce spectacle.
Jésus qui est venu de Dieu, qui retourne à Dieu, qui sait maintenant son origine et son destin, s'humilie aux pieds de ses disciples. Nous réalisons avec beaucoup d'étonnement : le Créateur aux pieds de ses créatures... Jésus aux pieds de ses disciples, aux pieds de Pierre. Et moi, en me mettant à la place même de Pierre, est-ce que je peux laisser Jésus me laver les pieds, me servir parce qu'il m'aime ? N’est-ce pas difficile de se laisser voir et aimer tel qu’on est ?
Nous aussi, nous n’aimons pas trop dépendre d’un autre, nous en faisons sans doute l’expérience particulièrement en ce temps de confinement… Nous aussi, avons de la peine à servir nos frères au long des jours. Nous pensons plutôt à avoir la meilleure place, la meilleure part… que nous soyons petit ou grand… C'est vrai, il y a des choses que nous essayons d'éviter de faire, et pourtant, lorsque nous aimons, cela ne nous pose plus aucun problème de le faire pour la personne aimée. Laver des pieds n'a rien de très amusant ; laver les pieds de l'être aimé change la perspective. L'action qui découle de cet amour est légère, toute empreinte de tendresse et ne se soucie pas d'elle même puisque la personne aimée reprend sa place au cœur de la rencontre.
« Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ». Ce soir est donc particulièrement émouvant. Jésus va nous quitter et avant de mourir, il nous demande de prendre sa suite. Il nous dit : vous qui êtes mes disciples, maintenant conduisez-vous en maîtres ; vous qui m’avez suivi et écouté, maintenant montrez le chemin. C’est ce que rapporte saint Jean : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ». Goûtons cette invitation pressante, faite dans l'intimité, la veille de la Passion. Demandons l'intelligence du cœur pour entendre le sens profond de cette invitation ici, et maintenant : "afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous". "Comme" : de la manière, à la manière du Serviteur qui livre sa vie.