Homélie du 5ème dimanche ordinaire A - Mt 5,13-16

Is 58 / 1 Co 2,1-5 / Mt 5,13-16
Vous êtes le sel de la terre, le saviez-vous ? Mais n'êtes-vous pas un peu affadis ? Êtes-vous de ceux qui donnent du goût à l'existence ? De ceux qui donnent le goût de vivre à leurs voisins ?
Vous êtes la lumière du monde ? Mais la lumière commence par éclairer d'abord la maison, puis la cité, puis le pays et le monde.
C'est là que la parole de Jésus rejoint celle du prophète : “ Si tu fais disparaître de ce pays le joug (le poids de l'injustice et la démesure de la production, de la surconsommation), le geste de menace et la parole malfaisante (toute espèce de chantage, calomnie et violence imposée aux pauvres)... Alors « ta lumière se lèvera ».
L'Évangile que nous lisons là est la suite du Sermon sur la montagne inauguré par les Béatitudes. Après avoir annoncé cette bonne nouvelle « Heureux êtes-vous », Jésus s'adresse plus particulièrement à ceux qui veulent y adhérer, comme s'il disait : “ Votre tâche maintenant, et aussi votre bonheur, c'est de réaliser ce que vous avez entendu : rendez les gens heureux au point qu'ils reconnaissent que votre action n'est pas simple philanthropie, mais gloire de Dieu manifestée aux hommes ”, Isaïe disait la même chose en parlant de cette lumière qui jaillit d'une action à la fois personnelle et politique ( Isaïe 58, 7-12) : cette action et cette parole qui sont “ manifestation de l'Esprit et sa puissance ”. (1 Corinthiens 2, 1-5), même si elles se vivent dans la faiblesse.
Le sel et la lumière. Le sel est ce qui donne du goût aux aliments et les empêche de pourrir.
La lumière nous arrache aux ténèbres et nous permet d’y voir clair, de savoir "où nous mettons les pieds". Sans vous, nous dit Jésus, le monde perd sa saveur et se décompose (sel). Sans vous, les hommes ne savent plus où ils vont et vivent des existences privées de sens (lumière). Mais qui est ce "vous" auquel Jésus s’adresse ? Bien sûr les "pauvres de cœur" qu’il vient de déclarer "heureux" ou, ce qui revient au même, ceux qui suivent les consignes de la première lecture. Sans cela nous pouvons bien aller à la messe, dire "Seigneur, Seigneur", faire partie de toutes sortes de groupes très bien intentionnés, le sel perd sa saveur et la lumière devient ténèbres. Sans l’amour, dit Paul, tout ce que nous pouvons faire ne sert à rien (1 Co 13,1-3). Seulement nous portons le trésor du message évangélique dans de fragiles récipients d’argile (2 Co 4,5-7). Jésus le sait, puisqu’il nous exhorte à faire briller notre lumière aux yeux des hommes par ce que nous faisons de bien : il n’aurait pas besoin de nous le dire si cela allait de soi. Si nous sommes faillibles, si notre sel ne sale pas beaucoup, si notre lumière reste mêlée de ténèbres, comment le monde pourra-t-il éviter la décomposition ? Comment les hommes seront-ils quand même illuminés par le Christ ?
À partir de notre faiblesse. Deux dérapages nous guettent. D’abord nous risquons de tomber dans la prétention, de croire que nous détenons la vérité alors que nous n’arrivons pas à en vivre ni à dire le Christ correctement. Inversement, nous pouvons, à la faveur de nos insuffisances, sombrer dans l’abattement et un sentiment de culpabilité. Un seul remède alors : dire l’Évangile du Christ à partir de notre faiblesse elle-même. Nous ne pouvons être lumière du monde qu’en renonçant à briller aux yeux des hommes, comme nous le propose Matthieu ici. Ce n’est pas nous que nous avons à annoncer mais le Christ, un Christ crucifié. Il nous faut méditer la deuxième lecture. Comment Paul aurait-il pu annoncer un Christ qui a accepté de tout perdre pour nous sans se perdre lui-même, c’est-à-dire sans disparaître derrière son message ? Le "sel de la terre" se perd dans les aliments ; il fond et disparaît et c’est alors qu’il remplit sa fonction de sel, c’est alors que la lumière peut briller car il ne s’agit plus de notre lumière mais de la lumière du Christ. "Je suis la lumière du monde", dit-il en Jean 9,5. En ce sens, nos insuffisances elles-mêmes peuvent devenir instruments d’évangélisation.
La lumière de Pâques. Quand le Christ est enseveli, disparaissant dans la nuit du tombeau, il devient sel de la terre. Désormais hors de portée de nos regards, lumière enfouie dans les ténèbres de la sixième heure, sa gloire est confiée au témoignage de ses disciples. De ses disciples formant corps. On remarquera que "Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde" est dit au pluriel : "vous", alors que les consignes du chapitre 6 sont au singulier : "Quand toi tu fais l’aumône..." Individuellement, nous avons, comme Jésus, à disparaître aux regards. C’est le Corps de la communauté que nous formons ensemble, né de la Résurrection, qui doit briller aux yeux des hommes. Cela fait penser à Jean 17,21-23 : "Qu’ils soient un pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé". C’est bien notre union, née de la charité, de l’amour fraternel, qui peut éclairer le monde. Ajoutons que cette union, (commune union, communion) pour être vraiment à l’image de celle du Père et du Fils, doit être union pour le service des hommes, de celles et ceux qui ne sont pas formellement du "Corps". Eux aussi sont de la famille de Dieu. Pour eux le Christ est mort, a été enseveli, est ressuscité dans la lumière de Pâques. Sur ce chemin, nous avons à le suivre : "Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie" (Jn 8,12).