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Homélie du 3ème dimanche ordinaire A, dimanche de la Parole de Dieu - Matthieu 4, 12-23


(Is 8, 23b-9, 3 ; 1Co1, 10-13.17 ; Mt 4, 12-23)

Le 3ème dimanche du temps ordinaire a été instauré depuis peu par le pape François comme le dimanche de la Parole de Dieu. Ce dimanche n’a bien-sûr pas été choisi par hasard. Il fait suite au baptême du Christ (2ème dimanche) et correspond au début de la mission de Jésus. Il a chez les évangélistes généralement une fonction programmatique. Si on connaît bien le texte de Luc au chapitre 4 où Jésus entre dans la synagogue de Nazareth, lit le passage d’Isaïe qui s’accomplit en lui, passage bien connu (…), on connaît moins la version de Matthieu. Or lui aussi montre qu’en Jésus s’accomplit une parole tirée du prophète Isaïe. Mais c’est un passage bien différent qui est cité ici et que nous avons lu en première lecture.

Puisque nous célébrons le dimanche de la Parole de Dieu, qu’il me soit permis de dire que pour moi, la Parole de Dieu, elle est livrée pour le peuple de Dieu et que la tâche du prêtre lors de l’homélie est de la lui rendre et pour cela, il faut de la rigueur et de la préparation. On ne fait pas dire à l’Evangile ce qu’on veut parce que cela nous arrange. Permettez-moi de vous dire un petit regret (rassurez-vous, je n’en ai pas beaucoup !). J’ai toujours rêvé, à l’instar de ce qui se faisait à la paroisse universitaire de Namur ou de Louvain-la-Neuve, de mettre sur pied dans notre communauté un groupe de lecture d’Evangile où ceux qui veulent partageraient le texte du dimanche suivant avec le prêtre qui prêcherait ce dimanche-là, lequel se nourrirait du partage pour rédiger son homélie.

Il y a deux aspects dont il faut tenir compte pour comprendre ce texte d’Isaïe, repris –et adapté, on le voit bien- par Matthieu. Tout d’abord, le contexte est très clairement politique : « Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée… ». Nous connaissons la suite du texte que nous avons lu lors de la veillée de Noël : « Oui, un enfant nous est né, un Fils nous est donné… ». C’est une formule caractéristique pour annoncer l’arrivée, la naissance d’un roi. Un roi qui va faire justice, qui va redonner l’espoir et la joie, qui va libérer son peuple du joug de l’oppresseur, du bâton du tyran et de la botte de ses soldats. Or ce désir d’un Messie qui aurait un impact politique est aussi le nôtre, surtout à une époque où on parle d’anthropocène, c’est-à-dire d’une influence inquiétante de l’humain sur les phénomènes géologiques et atmosphériques. Le pape parle très judicieusement « d’une culture du déchet » en désignant non seulement le taux inquiétant de pollution, mais aussi le mépris et l’écrasement du plus petit, vieillard, étranger, avorton ou réfugié, pauvre ou malade, enfant ou prisonnier. Comment ne pas souhaiter un changement, des régimes politiques qui mettraient enfin en place une société selon le cœur de Dieu ?

L’autre aspect qui intéresse Matthieu, et devrait aussi nous intéresser, est cette Galilée des nations, ce territoire de Zabulon et Nephtali, deux des tribus d’Israël, qui désigne une région bien délimitée, à l’ouest du lac de Génésareth. Or il peut paraître étonnant qu’Isaïe, qui était proche de la tribu de Judas et donc de Jérusalem, s’intéresse ou désigne ce territoire de la périphérie, ce territoire de mélange, comme celui qui bénéficiera de la promesse royale. Bien-sûr, on peut y voir un intérêt stratégique et militaire : la Galilée des nations est ce territoire, ce poste avancé qu’il s’agit de défendre et de ne pas perdre, tant parce qu’il est une porte d’entrée qui pourrait ouvrir une brèche à l’ennemi qui pourrait venir jusqu’à Jérusalem en suivant la vallée du Jourdain –on parle d’une centaine de kilomètres de distance !- que parce qu’Israël ne veut pas voir la Terre Promise amputée !

Cependant, c’est un autre aspect que retient Matthieu. Ceux d’entre vous qui étaient déjà en Terre Sainte se rappellent certainement de la beauté marquante de ce paysage verdoyant, inspirant et riche du bord du lac de Galilée. Il s’agit toutefois d’un tout petit territoire : de Capharnaüm en allant vers le nord, nous ne sommes qu’à une bonne dizaine de kilomètres de la frontière syrienne ! Or Jésus quitte Nazareth où il semble connaître des difficultés suite à l’exécution de Jean-Baptiste, pour s’installer dans la maison de la belle-mère de Pierre à Capharnaüm, à une journée de marche seulement vers l’est. Ce sont des distances qui restent, pour un Luxembourgeois, dans les frontières du pays !

Jésus fait donc le choix, nous dit Matthieu, de s’installer à un carrefour, un modeste carrefour des nations –comme peut l’être Luxembourg, petite ville très internationale-. Il s’installe à la frontière, aux périphéries, comme dirait le pape François. Il fait le choix de la rencontre, le choix de l’ouverture à la diversité, à l’autre qui est le reflet du tout-Autre. Or nous savons que c’est une option qui heurtera les préjugés identitaires qui étaient légion à l’époque, encore plus qu’aujourd’hui, nous en avons bien des traces dans les évangiles même.

Matthieu, qui écrit pour des juifs devenus chrétiens mais qui portent toujours la conscience d’être le peuple choisi, voit dans la prophétie d’Isaïe l’annonce d’un Messie qui ira aux périphéries, qui n’aura pas peur de se compromettre avec des pécheurs, qui brisera les tabous du pur et de l’impur pour nous ouvrir aux belles promesses de la rencontre, marquée par des visages et des histoires si diverses, rencontre qui fait tomber les préjugés et qui nous permet de dire à chaque personne : « Tu es mon frère, tu es ma sœur… ».

Cependant, l’ambiguïté politique demeure clairement. En effet, le récit se poursuit, nous l’avons entendu, avec l’appel des premiers disciples : André et Pierre, Jacques et Jean. Jésus les rejoint dans leur désir d’accomplir le Règne de Dieu et les voilà qu’ils laissent tout, filets, barques, poissons et parents pour suivre le Messie, ce nouveau roi qui allait enfin rétablir la justice en Israël. Mais qu’adviendra-t-il de leur fidélité à Jésus quand le Messie se révélera être non pas le roi à la tête d’une puissante armée, mais une brebis qu’on mène à l’abattoir ? Ce sera un des enjeux majeurs de l’Evangile de Matthieu dont nous n’avons ouvert que les premières pages…

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