Homélie de la fête de l'Épiphanie A - Matthieu 2, 1-12

L’évangéliste nous montre que la venue du Christ accomplit le chapitre 60 d’Isaïe que nous avons entendu en première lecture ; entre autres, que Jérusalem, qui tenait le devant de la scène en Isaïe 60, est hors du coup : tout se passe à Bethléem et non à Jérusalem, et le peuple juif, pourtant concerné au premier lieu par la venue de son messie, prend peur et ne bouge pas ; ce sera d’ailleurs tout le drame de Jésus et aussi de l’Église naissante.
Nos mages païens racontent le signe royal qui les a conduits jusqu'à Jérusalem et les scribes leur expliquent que, effectivement, dans leur fameux Livre, des prophètes annonçaient que le Messie promis par Dieu devait survenir dans un petit village au sud appelé Bethléem. Nos mages reprennent leurs montures... tandis que les scribes, persuadés que cette démarche de païens ne pouvait qu'être illusoire, refusent de les accompagner. Arrivés à Bethléem (qui signifie « la maison du pain »), que découvrent les voyageurs ? Non un palais avec un petit prince mais une humble maison avec un couple et un nouveau-né qu'ils ont appelé « Ieshouah », en français Jésus = "Dieu sauve". Convaincus et ravis, les visiteurs présentent leurs cadeaux qui symbolisent l'identité de ce Messie et veulent montrer leur foi. De l'or, cadeau royal. De l'encens, les graines qui brûlent en l'honneur de Dieu. De la myrrhe, l'aromate de l'amour et qui sert aussi à embaumer les morts.
Jérusalem, son roi, son temple, ses scribes n'ont pas reconnu Jésus tandis que voici des païens qui viennent vers lui et l'adorent dans la faiblesse et la pauvreté de Bethléem. La véritable Lumière repose sur le Messie pauvre et silencieux : c'est lui qui va devenir l'étoile (la vraie «star ») qui guide les êtres humains vers la vérité : le peuple issu de toutes les nations, de toutes les cultures, souillé de tous les péchés du monde mais se regroupant autour de Jésus et chantant sa miséricorde en partageant son pain.
Il y a aussi dans ce récit quelque chose de subtil : c’est l’étoile. Elle a des références scripturaires mais, ici, elle fait penser aux horoscopes et à l’astrologie. Quand Matthieu écrit, Paul avait déjà expliqué que, dans le Christ nous sommes libérés des « éléments du monde », de la soumission aux « puissances et dominations », parmi lesquelles les astrales. Matthieu, par le biais de l’étoile, nous montre ces puissances (et tout ce qui nous fascine, et nous domine, d’une manière ou d’une autre), asservies : elles n’ont plus qu’un « pouvoir », celui de nous conduire au Christ ; ainsi de tous les déterminismes, cosmiques, sociaux, économiques, culturels, de classe, etc. dans le Christ, nous sommes libérés de toute servitude.
La puissance de la vie vient libérer notre liberté pour que nous fassions les choix qui font vivre. En face du Christ, en face de Dieu qui vient en personne nous montrer, en vivant devant nous, ce qu’est l’homme, nous voici en mesure de choisir. De fait, la venue de Jésus, dès le début, opère un tri et les hommes vont se prononcer : Hérode choisit dans le sens de la mort, les Mages dans le sens de la vie.
Pour venir au Christ les mages doivent franchir plusieurs sortes de « distances » : distance géographique, distance culturelle, distance religieuse. Ils apportent à Jésus des présents qui ne sont pas tellement exotiques pour Israël mais qui viennent de chez eux, qu’ils ont transportés. Tous les peuples de la terre, et même toutes les religions du monde, ont quelque chose à apporter à notre manière de penser et de vivre la vie chrétienne, sans quoi notre foi n’est pas foi au Christ « total », à celui « en qui vit tout ce qui vit » et « sans qui rien n’existe ». Matthieu ne dit pas que les mages doivent changer quelque chose à leur manière de vivre, ni renoncer à leur astrologie. Ils repartent chez eux, dans leur pays avec ses us et coutumes. Mais ils vont vivre tout cela autrement. Au fond, ils restent païens ; des païens qui croient au Christ. Ils rentrent chez eux, oui, mais par « un autre chemin ». Hérode, lui, n’a pas bougé : il ne veut pas voir Jésus vivant mais seulement mort. Il veut effacer le « mystère caché ». On finira par éliminer le Christ, mais ce sera en « l’élevant » de terre, au-dessus de toute puissance et domination, au-dessus de tout ce qui veut empêcher notre unité.
Quel est ce mystère caché ? Pour Paul, c’est « la résurrection des morts » (Rm 11,15). La réconciliation de chaque homme avec sa propre vie, résurrection, qui passe par la réconciliation des hommes entre eux. Voilà le « mystère de la 2ème lecture ; il était caché parce qu’enfoui au cœur de l’humanité. Aujourd’hui, il se manifeste. Il s’agit de la réconciliation des frères ennemis qui figurent dans le récit biblique toutes nos oppositions, tous nos litiges, tous nos conflits.
De ce point de vue, nous n’avons pas encore fait passer dans l’histoire le mystère du Christ, même dans nos Églises, mais nous savons que la vérité est là et que nos divisions manifestent que le Christ est encore à venir. Sans doute devons-nous, nous aussi, recevoir encore l’Évangile, l’accueillir, le faire entrer dans nos manières de vivre, dans notre chair et entre nous : il ne suffit pas de le réciter ou même de le proclamer. En d’autres termes, que la charité, (l’amour fraternel) marque de la présence de l’Esprit de Dieu, transparaisse à travers le « corps » de nos communautés. "
Je voudrais terminer par ces mots du Pape François à Hiroshima (24.11.19) : Nous sommes appelés à marcher ensemble, avec un regard de compréhension et de pardon, ouvrant l'horizon à l'espérance et apportant un rayon de lumière au milieu des nombreux nuages qui assombrissent le ciel aujourd'hui. Ouvrons-nous à l'espérance, en nous convertissant en instruments de réconciliation et de paix."