Homélie du dimanche de la Sainte Famille A - Matthieu 2, 13-15. 19-23

Jésus est né dans une mangeoire ! Et pourtant Marie et Joseph avaient sans doute rêvé meilleur pour l’Emmanuel. Aujourd’hui nous fêtons Dieu qui se révèle en Jésus, Marie et Joseph dans le mystère de leur famille, si vulnérable et si tributaire des aléas de l’histoire. Voilà en effet que l’évangéliste nous dit : « Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Il faut donc tout faire pour protéger l’enfant. Joseph part en pleine nuit avec Jésus et Marie et se retire en Égypte pour échapper à la cruauté du roi Hérode. La naissance du Messie attendu ne ressemble en rien à l’entrée triomphale d’un puissant de la terre ! L’enfant de Bethléem nous montre bien combien le Seigneur veut partager en vérité notre condition humaine, gorgée d’incertitudes, de souffrances, de vulnérabilité et d’insécurité.
Matthieu rappelle sans doute ici aussi cet autre épisode de l’Ancien Testament, où il est question de la folie meurtrière d’un autre roi, presque douze cents ans plus tôt. Les Égyptiens avaient réduit le peuple d’Israël en esclavage. Comme Israël devenait une menace démographique pour l’Égypte, Pharaon avait ordonné que l’on massacre tous les garçons à la naissance. Moïse fut le seul à échapper à ce crime, parce que sa mère l’avait déposé dans une corbeille au bord du Nil. Cet enfant sauvé des eaux allait devenir le sauveur de son peuple. Ainsi, Jésus aussi a échappé au massacre : il est devenu le nouveau Moïse, celui qui va libérer et sauver toute l’humanité.
Nous pouvons comparer les deux évènements. Dans l’un et dans l’autre, nous lisons qu’à douze siècles d’intervalle, deux enfants échappent à un massacre. Mais il faut surtout noter que cet exode hors d’Égypte et cette fuite en Égypte sont présentés à chaque fois comme un chemin de libération. Moïse a libéré les Hébreux de l’esclavage. Jésus est venu, non seulement pour Israël, mais pour toute l’humanité. La mission de Jésus concerne tous les hommes dans toute l’histoire !
Notre liturgie de la Sainte Famille, quand elle évoque ces deux événements, l’exode de Moïse et la fuite en Égypte de Joseph avec Marie et l’enfant, nous renvoie sans concession à l’histoire contemporaine, à ce qui se passe maintenant dans notre monde. Combien de familles ont été forcées à tout quitter pour fuir les horreurs des pays et des régions en guerre, en Syrie, en Centre Afrique et ailleurs. Elles ont cherché à échapper à la folie destructrice de régimes dictatoriaux. Mais cela se passe aussi tout près de nous, dans l’anonymat des cités urbaines, chaque fois que des familles sont réduites à la misère et se retrouvent à la rue, parce que la moulinette administrative les saisit à la gorge, parce que ces personnes, laissées à elles-mêmes, n’ont pas pu payer les factures qui se sont accumulées. Oui, en ce temps de Noël, le Christ veut partager le sort de toute cette humanité en souffrance aux marges. Il est d’emblée celui qui vient annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Très concrètement, nous sommes renvoyés à la nécessité de tout faire pour protéger la vie, chaque fois que des enfants sont en danger. Il y a ceux qui sont menacés par les guerres, les famines et les exodes forcés, ceux qui sont victimes de maltraitance et de violence, les enfants soldats et ceux des déchetteries d’Afrique et d’Asie, ceux qui sont menacés par l’indifférence, le manque de soins, d’amour et d’affection. Le Seigneur, en nous révélant la grandeur et la fragilité de l’Enfant Jésus, nous invite à nous soucier à notre tour de chaque enfant. Qu’il puisse grandir sans danger et s’épanouir dans la joie. Le Christ n’est-il pas là, attendant notre amour, dans ces petits qui subissent toutes ces épreuves ? Jésus a toujours été du côté des exclus et des plus pauvres pour nous encourager à faire de même.
En regardant aujourd’hui plus attentivement ces témoignages des récits de l’enfance de Jésus, nous découvrons combien cette famille de Jésus, Marie et Joseph, discrète, vraie et solidaire, nous inspire à témoigner de la force de l’amour, de la fidélité, de l’humble service dans notre vie de famille et de communauté, à développer un style de vie, une spiritualité et des attitudes qui peuvent changer le monde dans l’humble quotidien. La vie familiale a une dimension universelle, comme le rappellera plus tard Jésus dans sa prédication sur la prière en toute confiance : quel père, si son fils lui demande un œuf, lui donnerait un scorpion ? Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père donnera-t-il l’Esprit saint à qui lui demande ! Cette bonne nouvelle de confiance et de foi en Dieu a d’emblée sa dimension familiale universelle.
Dans quelques jours nous échangerons des vœux pour 2020. Si nous pouvions vivre ces démarches comme autant d’occasions de faire un pas en direction des autres, et tout particulièrement d’ouvrir nos yeux, notre cœur, nos oreilles et nos mains, en continuité avec nos résolutions pour le temps de Noël : tant de personnes sont seules, ou souffrent physiquement et moralement. Le Christ compte d’autant plus sur nous pour continuer à faire tout cela en mémoire de lui, à faire eucharistie, œuvre de paix, de fraternité et de réconciliation.
Oui, nos familles chrétiennes sont appelées à révéler au monde que tous les hommes font partie de la famille de Dieu : Dieu s’est fait homme en son Fils pour que tous les hommes deviennent frères du Fils de Dieu, divinement.