Homélie de la fête du Christ-Roi - Luc 23, 35-43

L’Évangile présente, la royauté de Jésus de manière surprenante. « Le Messie de Dieu, l’Élu, le Roi » apparaît sans pouvoir et sans gloire : il est sur la croix où il semble être plus vaincu que victorieux : son trône c’est la croix ; sa couronne est d’épines, il n’a pas de sceptre mais un roseau lui est mis dans la main ; il ne porte pas d’habits somptueux mais il est privé de sa tunique ; il n’a pas d’anneaux étincelants aux doigts mais ses mains sont transpercées par les clous ; il n’a pas de trésor mais il est vendu pour trente pièces d’argent.
Jésus inverse totalement les perspectives : « Les rois des nations commandent en maîtres (...) Pour vous, qu’il n’en soit pas ainsi ; au contraire, que le plus grand d’entre vous se comporte comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert. » Ce passage de Luc (22, 25-26) est loin d’être le seul à illustrer ce thème qui se retrouve partout dans les évangiles. Avec le Christ, le concept de royauté change de sens.
Pour comprendre cela, il faut prendre clairement conscience que la croix est une prise de pouvoir. Pas seulement la Résurrection, prise de pouvoir sur « le dernier ennemi, la mort » (1 Co 15,26), mais la croix elle-même, victoire sur tout ce qui, dans l’humanité, va à la mort. Paul appelle ces vertiges maléfiques trônes, puissances, dominations, « les esprits du mal répandus dans les airs » (Eph 6,12). Traduisons : ce qui flotte dans l’air du temps, par exemple que plus on possède plus on est important, que rien ni personne ne compte au regard de la réussite, que « la fin justifie les moyens », etc. Le Christ prend le pouvoir en lui-même sur tous ces « démons » de puissance et de domination par le seul fait d’accepter d’être mis à mort injustement, « sans raison » (Jn 15,25). Il fait taire en lui la volonté, presque universelle, de vivre à tout prix. A la croix Jésus s’élève au-dessus de tout ce qui provoque en nous la violence menaçante ou défensive. Par là, il prend le pouvoir, le dessus, sur « tout ce qui nous est contraire ». De cette manière, notre Roi est allé jusqu’aux limites de l’univers pour embrasser et sauver tout être vivant.
Mais ce serait peu de choses de croire que Jésus est Roi de l’univers et centre de l’histoire sans le faire devenir Seigneur de notre vie, sans l’accueillir personnellement, lui et sa manière de régner. Les personnages de l’Évangile nous y aident.
D’abord le Peuple : l’Évangile dit qu’il « restait là à observer » (Lc 23,35) : personne ne dit un mot, personne ne s’approche. Face aux circonstances de la vie ou devant nos attentes non réalisées, nous pouvons nous aussi avoir la tentation de nous tenir à part plutôt que s’approcher et se faire proche. Nous sommes appelés à suivre sa voie royale d’amour concret ; à nous demander, chacun, tous les jours : « Que me demande l’amour, où me pousse-t-il ? Quelle réponse je donne à Jésus par ma vie ? »
Il y a un second groupe : tous ceux qui se moquent de Jésus. Ils lui adressent la même provocation : « Qu’il se sauve lui-même ! ». Ils tentent Jésus comme l’a fait le diable au début de l’Évangile (cf. Lc 4, 1-13), pour qu’il renonce à régner à la manière de Dieu mais qu’il le fasse selon la logique du monde : qu’il descende de la croix et batte ses ennemis ! S’il est Dieu, qu’il montre sa puissance et sa supériorité ! Cette tentation est une attaque directe contre l’amour : « Sauve-toi toi-même » (vv 37.39) ; non pas les autres, mais toi-même. Que prévale le moi, avec sa force, avec sa gloire, avec son succès.
C’est la tentation la plus terrible, la première et la dernière de l’Évangile. Mais face à cette attaque contre sa manière d’être, Jésus ne parle pas, ne réagit pas. Il ne se défend pas, il ne cherche pas à convaincre de sa royauté. Il continue plutôt à aimer, il pardonne, il vit le moment de l’épreuve selon la volonté du Père, confiant que l’amour portera du fruit.
Pour accueillir le Christ-Roi, nous sommes appelés à fixer notre regard sur Jésus crucifié, pour lui devenir toujours davantage fidèles, plus confiants, nous fiant en lui. Que de fois n’avons-nous pas été tentés de descendre de la croix ? La force d’attraction du pouvoir et du succès semble si souvent être une voie facile et rapide - même pour répandre l’Évangile - oubliant trop vite comment la manière de faire du règne de Dieu.
Enfin, quelqu’un, plus proche de Jésus, le malfaiteur qui le prie en disant : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi». Et ces paroles : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».
A la différence de la nôtre, la mémoire de Dieu n’enregistre pas le mal commis et ne tient pas pour toujours compte des torts subis. Dieu n’a pas la mémoire du péché, mais de nous, de chacun de nous, ses enfants bien-aimés. Et il croit qu’il est toujours possible de recommencer, de re-susciter, de se relever.
A travers le larron, Jésus regarde chacun de nous et regarde l'univers et tous les hommes de tous les temps. Fils aîné d'une multitude, il s'est fait la Pâque, le « passeur » vers la joie éternelle. En cela, il est le Messie, le Christ, le vrai Roi.