Homélie du 33ème dimanche ordinaire C - Luc 21, 5-19

À mesure que nous approchons de la fin de l’année liturgique, l’Église nous propose de méditer sur ces phénomènes de violence et de mort, symboles de la fragilité de notre monde : « Des jours viendront où il ne restera pas pierre sur pierre. Tout sera détruit ».
L’évangile que nous lisons aujourd’hui est du genre apocalyptique. Apocalypse n’est pas histoire, ni même prophétie à proprement parler. Le mot signifie révélation. Révélation de quoi ? Pas de l’avenir, mais du sens des événements que les hommes vivent depuis toujours et qui se répètent inlassablement au fil de l’histoire.
Immergés dans le flot des informations, bousculés par les nouvelles de violence, nous avons du mal à prendre du recul pour comprendre que toujours et partout se reproduit le drame de l’envie-jalousie, de la volonté de possession et de domination : le conflit homme-nature, homme-femme, homme-homme. Ces conflits, qui pour certains philosophes déterminent et structurent toute l’histoire humaine, se trouvent déjà dans la Bible. Il suffit de lire les chapitres 3 et 4 de la Genèse pour les découvrir. Le drame du meurtre du frère par son frère. Pourquoi la Bible fait-elle commencer l’histoire par le symbole de Caïn et d’Abel ?
Le texte évangélique nous dit qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin et aussi que nous sommes impliqués, que nous ne pouvons tirer notre épingle du jeu : « On portera la main sur vous et on vous persécutera ». Il suffit d’ouvrir les yeux, nous trouvons autour de nous des choses qui ressemblent étrangement à la description faite par Jésus. Les médias nous parlent sans arrêt des malheurs du monde : le terrorisme, les inondations, les tremblements de terre, les ouragans, les typhons, les attentats, les enlèvements, les viols, les meurtres, les abus sexuels, les campagnes de haine, etc.
Force-t-il le tableau quand il voit ces hostilités à l’œuvre même au sein des familles ? Là encore nous pourrions trouver beaucoup d’exemples dans notre univers. Jésus met en perspective tous les maux qui affectent les hommes : guerres, catastrophes naturelles, maladies, pénuries, persécutions. Il s’agit en fait du drame de notre fragilité, cette fragilité que nous voudrions effacer parce qu’elle nous fait peur. Tout se passe comme si notre drame intérieur prenait forme visible dans le monde.
Jésus ne dit pas quelle est l’origine de tous ces maux que nous avons à subir. Ne pensons pas trop vite qu’il s’agit là de châtiments infligés par Dieu aux pécheurs que nous sommes, certains textes le disent mais, paradoxalement, c’est pour nous rassurer : Dieu n’est pas absent de nos malheurs, nous ne sommes pas soumis aux caprices de l’absurde, cela a un sens. Et si cela a un sens, cela va quelque part.
Dieu, notre source, est donc impliqué mais plutôt à titre de victime que de justicier. N’est-ce pas, en fin de compte, ce que nous révèle la Croix ? Toutes les catastrophes énumérées sont symbolisées ici par la destruction du Temple, « dont il ne restera pas pierre sur pierre ».
En voyant tout cela, « redressez-vous et relevez la tête car votre délivrance est proche ». Cette parole de Jésus en Lc 21,28 un peu plus loin dans notre évangile, résume bien tout ce discours apocalyptique. Elle fait coïncider le paroxysme du mal avec l’action libératrice de Dieu. À vrai dire, Dieu n’est pas absent, il est avec nous tout au long de la traversée du mal et de la mort : « Ne vous souciez pas de préparer votre défense. Moi-même je vous inspirerai un langage et une sagesse (…) Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. » Pourtant c’est dans la nuit de la foi que nous avons à marcher. Cela s’appelle « persévérance », ou « constance », ou « assurance » (v. 19). Tenir ferme dans la foi. Non par un effort volontariste ou un travail psychologique, mais par la certitude d’être aimés. « Je sais en qui j’ai mis ma confiance ». Au fond, Jésus nous dit là ce qu’il va accomplir à la Pâque, sommet de toute apocalypse, révélation de l’amour. Là aussi, là surtout, les ténèbres couvriront la terre.
Un soleil se lève (1relecture). Soleil brûlant nos vices, illuminant nos ténèbres ; « soleil de justice apportant la guérison dans son rayonnement. » N’allons pas croire ceux qui nous disent « c’est moi » ou « il est ici… il est là… » Le Christ se trouve là où nous sommes ; il est là en toute douleur humaine. La fin est toujours là et nous porte. Un jour, nous aussi, nous nous découvrirons là où nous n’avons jamais cessé d’être, dans le mystère d’un amour qui nous fait être, nous porte et nous fait traverser nos abîmes. Pour parvenir à ce terme qui est déjà là, mais échappe encore à nos prises, il nous faut perdre tous les appuis sur lesquels nous pensons pouvoir compter et ne faire confiance qu’à la Parole qui nous crée. Il ne doit rester pierre sur pierre des temples que nous construisons pour nous y réfugier. Il fallait que le tombeau se ferme sur le Christ pour qu’il puisse s’ouvrir pour nous.