Homélie du 31ème dimanche ordinaire C - Sg11,23-12,2 / 2 Th1,11-2,2 / Lc19,1-10

La scène se passe à Jéricho, qui est paraît-il la ville la plus basse du monde, à quelques 300 mètres sous le niveau de la mer : dans la vallée du Jourdain, au plus bas de la terre. De là à Jérusalem, il y a 35 km de montée dans un paysage aride. Ce jour-là, Jéricho était bruyante, les gens étaient dans la rue pour voir passer le prophète et la petite troupe de disciples qui le suivait ; il y avait donc la foule, Jésus ... et ce Zachée perché dans le sycomore ; Zachée le publicain, responsable des impôts et donc à la fois collaborateur avec l'ennemi, l'occupant romain et soupçonné de voler allègrement ses compatriotes.
C'est justement chez lui, Zachée, que Jésus s'invite. Luc nous raconte que la foule est horrifiée que Jésus aille manger chez un pécheur ; mais ces gens sont logiques : selon la loi juive, on ne doit pas frayer avec les impurs, or Zachée est rendu impur du seul fait de son contact avec les Romains qui sont des païens. Si Jésus était vraiment le prophète qu'on prétend, il respecterait la Loi. Mais c'est la logique des hommes et une fois de plus, l'Ecriture nous montre que la logique de Dieu n'est pas la nôtre.
Pour saisir — autant que possible — la portée de la rencontre de Jésus et de Zachée, il faut la situer dans son contexte. Depuis le chapitre 9 de son récit (v. 51), nous sommes ici au chapitre 19, Luc nous rappelle constamment que le Christ est en route pour Jérusalem, où il sera crucifié. À Jéricho, on est donc presque arrivé, comme l’Évangile le note au verset qui suit, et les gens « croient que le Royaume de Dieu va se manifester à l’instant même ». De fait, le Royaume va se manifester, mais pas comme ils l’imaginent. L’épisode de Zachée est à lire dans cette atmosphère, comme un prélude à la Pâque : Jésus sera logé à l’enseigne des pécheurs car « il est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Zachée, ici, nous représente tous.
Quel est l’itinéraire de Zachée ? D’abord, Zachée cherche à voir qui est Jésus. Foi naissante qui veut la rencontre « pour voir », foi qui le fait courir et grimper. Et : Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. »
Jésus se rend à son désir et le dépasse : non seulement il se « fait voir » mais il « demeure » chez Zachée. Il voulait seulement « voir qui était Jésus », voici maintenant que Jésus le voit et l’appelle par son nom. Zachée doit redescendre et retrouver sa petite taille. Quant à Jésus, « il faut », dit-il, qu’il demeure aujourd’hui chez ce chef des publicains.
Et Zachée « le reçut avec joie ». Sa foi a mûri au cœur de cet épisode. Il regardait Jésus d’en haut (l’arbre), maintenant il descend au niveau de celui qui « s’est abaissé » (Ph 2,5).
Il ne s’agit plus d’une rencontre rapide mais de l’entrée de Jésus dans la vie de cet homme. Jésus ne lui dit pas autre chose que ce « demeurer » : aucune exigence, pas de consigne d’action, pas d’exhortation à changer de vie ni de discours sur la pauvreté. Or voici que Zachée se transforme.
Et, on l'aura remarqué, c'est quand, librement, Zachée a annoncé sa décision de changer de vie que Jésus parle de salut ; reprenons le texte : « Zachée, s'avançant, dit au Seigneur : voilà, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors, et alors seulement, Jésus dit à son sujet : « Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham. »
Zachée est devenu un véritable enfant d’Abraham, par la foi et sa foi a été rendue « active » (nous l’avons entendu dans la 2ème lecture) : « que Dieu vous donne d’accomplir tout le bien que vous désirez et qu’il rende active votre foi ». Foi en l’amour qui, avec de la mort, fait de la vie (Rm4). C’est cette foi, cette connaissance vraie de Dieu, qui entraîne la justesse des conduites. Le Christ, le salut, est venu le prendre là où il était, et l’a pris tout entier. C’est la description de notre propre aventure, lorsque nous consentons à croire.
Les honnêtes gens scandalisés que Jésus fréquente ce Zachée, ce malhonnête, ce vendu... ces honnêtes gens ne doivent pas oublier que le salut est toujours offert à tous parce que Dieu, lui, est toujours fidèle à sa promesse. Comme le dit Paul, « Si nous sommes infidèles, Dieu, lui, reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même ». (2 Tm 2, 13). C'est le même Luc, d'ailleurs, qui nous rapporte le Magnificat : « Il se souvient de la promesse faite à nos pères en faveur d'Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1, 55).
Jésus est l’authentique image de Dieu parce qu’il « vient chercher et sauver ce qui est perdu ».
Jéricho, c'est pour Jésus, (dont le nom signifie Dieu sauve) l’ultime étape de la montée à Jérusalem où s'accomplira le salut de l'humanité tout entière. En choisissant de s'inviter chez Zachée, Jésus ne cherche certainement pas à donner une leçon : simplement, il révèle qui est Dieu, irrésistiblement attiré par ceux qui sont en train de se perdre.
Dieu est comme ça.