Homélie du 27ème dimanche ordinaire C - Luc 17, 5-10

Le juste vivra. C'est le seul texte du prophète Habacuc que nous lisons aux messes du dimanche, mais il contient le fond de son message. Celui-ci fut écrit vers 600 avant le Christ, donc au temps du prophète Jérémie. Les barbares chaldéens menaçaient Jérusalem et semaient alentour pillage et violences. Le prophète, alors, questionne Dieu, l'accuse presque : Combien de temps, Seigneur, vais-je t'appeler au secours, et tu n'entends pas... pourquoi restes-tu à regarder notre misère ? C'est le problème du mal. Pourquoi la souffrance ? En plus cruel : nous qui sommes ton peuple, pourquoi nous traites-tu ainsi ?
Que va répondre Dieu? Il lui répond par un oracle, mis par écrit bien clairement sur des tablettes, pour qu'on puisse le lire et le relire. Cet oracle, sous forme de vision, annonce que « le juste vivra ». Dieu ne l'abandonne pas. Mais, précision importante, le juste aura la vie sauve par sa fidélité à Dieu. Celle-ci passera par l'épreuve, le doute : la réalisation de l'oracle paraît tarder. Mais la vision se réalisera... elle viendra certainement. Aussi attends-la dans la confiance en Dieu, la fidélité.
La racine du mot " fidélité " est fides, ce qui veut dire la foi. Ce mot fides a donné aussi fiancé, confidence, fiable, se fier à, confiance (ensemble croire) fidélité, etc... Ainsi la fidélité est l'acte par lequel se décide une confiance.
Seigneur, augmente en nous la foi ! Les apôtres avaient vu des dizaines de malades bondir de joie après leur guérison miraculeuse, ils avaient vu les pains et les poissons se multiplier. Ainsi devant Jésus, les tempêtes s'apaisent, les esprits mauvais sont mis en déroute, et même des morts ressuscitent…Et ce sont ces apôtres-là, qui demandent à Jésus d’augmenter en eux la foi.
Avoir la foi, ce n'est admettre des vérités, mais d'abord se fier à Dieu, et justement « quand on est dans le tunnel ». Croire, c’est faire confiance à Dieu, lui rester fidèle, malgré toutes les apparences contraires.
Dans notre monde où, comme dans la vision d'Habacuc, règnent violence et pillage, discordes et disputes, la foi devine, derrière les évidences contraires, la présence de l'amour qui germe dans l'obscurité de la terre. La foi ne se mesure pas. Être croyant, ce n’est pas avoir la foi ou la posséder. Elle est un saut dans la confiance envers le Père des cieux devant qui elle intercède.
La foi, on ne l'acquiert pas dans les livres, mais on la reçoit gratuitement dans un vis-à-vis avec l'Invisible. Être croyant, c’est être, c’est devenir. La foi ne se dose pas, elle se vit.
Déracine-toi et va te planter dans la mer. La réponse du Christ de l’Evangile est plutôt déconcertante :
« Le Seigneur répondit : La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : Déracine-toi et va te planter dans la mer ; il vous obéirait ». L’arbre dont il est question ici est un sycomore. Un horticulteur m’a affirmé qu’il a de telles racines qu’il peut vivre plus de six siècles. Et voilà qu’il se libérerait lui-même de ses assises dans la roche, pour aller se planter non seulement ailleurs, mais dans la mer !
Il y a deux petites clés dans ce verset : La foi, il en faut très peu pour faire de grandes choses et pour preuve, la graine de moutarde est la plus petite de toutes les semences.
La mer est le symbole des forces du mal et de la mort ; y planter un arbre, c’est faire surgir le bien du mal, la vie de la mort... C’est ce qu’il y a de plus grand à faire. Demander à Dieu de déraciner un grand arbre et de le planter dans la mer, c'est demander à Dieu de faire surgir la vie, l'amour, dans tous nos espaces de ténèbres, de péché, de mort qui obscurcissent le cœur de l'homme.
Inutiles. Dieu est au cœur même de la détresse humaine, au cœur de ma détresse personnelle. Il n'est pas du côté de la force ou de la toute-puissance, il n'est pas le maître qui commande à ses serviteurs qui n'auraient qu'à obéir, il n'est pas dans le pouvoir et la domination. Il est au creux de nos misères. Aux yeux de Dieu, nous sommes des serviteurs quelconques, de simples serviteurs, c’est-à-dire inutiles. Inutiles parce tout vient de Dieu, parce que tout nous est donné gratuitement. Aucune « œuvre » ne nous donnera droit à quelque récompense. Tout est grâce, gratuit. Nous sommes des serviteurs quelconques. Plus de confiance en Dieu nous préservera de trop de foi en nous-mêmes. Plus d'humilité nous fera compter davantage sur la force de Dieu.
Inutiles, et c’est là le paradoxe, mais indispensables pour que le Royaume de Dieu advienne sur la terre.
Soyons des inutiles qui sont riches du regard que Dieu pose sur nous.