Homélie du 23ème dimanche ordinaire C - Luc 14, 25-33

Dans l’évangile d’aujourd’hui, l’enjeu pour nous qui voulons bâtir une tour, c’est bien de nous asseoir pour calculer la dépense et voir si nous avons de quoi aller jusqu’au bout avec le Christ, dans un radical renoncement à notre égocentrisme !
Comment Jésus peut-il poser de telles exigences : celui ou celle qui ne relativise pas fortement l’importance de son père ou de sa mère, de sa femme ou de son mari et de ses enfants, de sa fratrie, ou même de sa propre vie, ne peut pas être mon disciple ! Ni non plus celui qui ne porte pas sa croix ou celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède.
Qu’est-ce qui est vraiment important ? C’est bien toute la question ! Ce dont il s’agit, manifestement, pour Jésus, c’est ce radical renoncement à notre égo.
Se cramponner ou lâcher prise, c’est sans doute une bonne façon de comprendre l’évangile d’aujourd’hui. Un vieux commentaire juif des Ecritures le formule ainsi : à sa naissance, l’homme tient les poings serrés, comme s’il voulait dire : je vais conquérir le monde entier. Au moment de mourir, ses mains sont ouvertes, comme s’il disait : « je n’ai rien retenu, tout t’appartient, mon Dieu ! » Tant il est vrai que toute notre vie s’accomplit entre ces deux pôles. Saisir, agripper, retenir, c’est ce que l’enfant doit commencer par apprendre, pour arriver à la maîtrise de sa vie. Mais en même temps, sur son chemin de croissance, l’enfant s’exerce à lâcher prise. A mesure que nous prenons de l’âge, nos échelles de valeur se déplacent. Plus nous nous fixons à suivre un itinéraire précis, plus nous abandonnons d’autres directions et possibilités et limitons ainsi notre liberté. Il nous faut renoncer à beaucoup de représentations idéalisées, à pas mal de préjugés, et, au fur et à mesure, à abandonner nos si chères évidences si chères, notamment celle d’être toujours en forme et en bonne santé, et même, en fin de compte, accepter un jour de renoncer à nos relations sociales et même à notre propre vie.
Il ne s’agit pas uniquement de nous accrocher ou de lâcher prise pour des choses extérieures, il s’agit de donner à notre vie, dans les deux cas, une finalité intérieure : elle concerne notre vie spirituelle. Pour Jésus, il s’agit bien d’être et de vivre pour les autres. « Etre des hommes et des femmes pour les autres ».
Porter ma croix ne veut certainement pas dire qu’il me faille consciemment faire des choses qui rendent ma vie plus difficile ; cela ne veut pas dire non plus que, devant l’injustice, je doive rester sans rien faire, alors même que j’ai reçu des talents pour améliorer ma qualité de vie et celle d’autrui.
L’important, dès lors, c’est le ici et maintenant, le point où je suis arrivé, c’est toujours maintenant l’heure du salut : je veux et je peux accueillir cette heure et l’assumer, rester ouvert à ce qui adviendra. Car j’aime passionnément cette vie que j’ai reçue et j’y trouve ma joie – Jésus, sans nul doute, s’est également plu à le faire.
Par ailleurs, je sais bien que cet amour inconditionnel de la vie reçue s’accompagne d’épreuves, de conflits et de toutes sortes de conséquences.
Nous commençons par être disciples du Christ, quand, malgré les obstacles, nous nous engageons dans le chemin de la pacification ; quand nous nous rendons capables de partager amour et chaleur humaine, alors même que nous sommes dans l’obscurité, alors même que les tensions de la vie professionnelle nous pousseraient à mettre la pression ; quand nous arrivons à nous dépasser et que nous consacrons aux autres temps, énergie et santé, parce que le regard aimant du Christ sur la Croix nous inspire fortement à porter notre propre croix.
Il ne s’agit pas là d’une obligation pesante : car, tout au fond de l’être humain, existe un désir quasi inné de vivre pour les autres, Dieu nous a créés capables d’aimer. A nous d’entrer dans l’expérience de vivre comme le Christ, entièrement donnés à Dieu et à nos frères. Oui, prenons le temps de nous asseoir pour calculer la dépense !