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Homélie du 5ème dimanche ordinaire C - Luc 5, 1-11

Chers frères et sœurs,



Isaïe, Paul, Simon-Pierre : trois grandes figures bibliques, trois histoires différentes et bien singulières, trois fois la même attitude humble et reconnaissante devant l’appel de Dieu.


Dans la première lecture, le prophète Isaïe[1]raconte une vision qu’il a du Seigneur lui-même. Il souligne avec des images de l’époque la grandeur de Dieu : « Saint ! Saint ! Saint ! Le Seigneur de l’univers. Toute la terre est remplie de sa gloire ». Cette reconnaissance de la grandeur de Dieu est au cœur de notre Sanctus, même si nous, les chrétiens, nous sommes invités à reconnaître la grandeur de Dieu en Jésus qui entre à Jérusalem humblement monté sur un âne. Par extension, nous sommes invités à voir la grandeur de Dieu qui se révèle dans les tout-petits... Devant l’infini divin, le prophète se sent petit et pécheur. Il ne mérite même pas d’être encore en vie : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures », dit-il, rempli de ce que les psaumes appellent la crainte de Dieu, qui est aux antipodes de la peur. Et c’est la grâce de Dieu qui libère le prophète de son enfermement : un ange séraphin lui touche les lèvres avec un charbon ardent et le purifie : « Ta faute est enlevée, ton péché est pardonné ». Cette libération autorise le prophète à s’engager pour le Seigneur : « Me voici : envoie-moi ! ».


Nous observons donc le schéma suivant : 1. La reconnaissance de la grandeur de Dieu, 2. Cette reconnaissance met en relief ma petitesse, mon péché. 3. Le pardon de Dieu vient comme une grâce libératrice. 4. Nous pouvons nous engager, car ce n’est pas nos limites, notre petitesse qui nous retiendront, mais bien plutôt la confiance qu’a mise en nous le Seigneur nous permet de nous appuyer sur sa Parole, sa promesse, bien plus que sur nos talents : nous pouvons dès lors répondre positivement à l’appel de Dieu sans se soucier de nos limites, mais en faisant confiance à la Parole divine qui met en route.


La deuxième lecture est d’un autre tonneau. Nous voyons l’apôtre Paul qui écrit pour soutenir la fragile mais dynamique communauté chrétienne naissante à Corinthe. Il énumère les apparitions du Ressuscité, fondement de la transmission de la foi. Et il parle de sa rencontre avec le Christ, qu’il n’a pas plus que nous connu de son vivant : « En tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu ». Nous revoyons la même dynamique qu’avec le prophète Isaïe : la reconnaissance de son état de pécheur se base sur l’appel gratuit de Dieu, de sa grandeur, un appel qu’il sait ne pas mériter. Il reconnaît avoir reçu la grâce et il s’est engagé à sa suite : « Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile ». Nous retrouvons donc les mêmes étapes, le même mouvement que chez Isaïe.


Dans l’Evangile que nous venons d’entendre, nous voyons Jésus qui prêche sur les bords du lac de Galilée (aussi appelé lac de Tibériade ou lac de Génésareth). Et nous retrouvons ce même mouvement : Pierre, dans la barque où il se met au service de Jésus en l’emmenant à une certaine distance du rivage, écoute les paroles de Jésus et se laisse toucher. C’est pourquoi il répond à cet appel surprenant d’avancer au large pour jeter les filets. En soi c’est absurde, car si on ne pêche pas de poisson la nuit, comment en pêcherait-on en plein jour ? Avancer au large, revisiter ces moments d’échecs, ces blessures dans nos vies, retourner là où cela fait mal, mais pour nous en libérer, c’est cela le sens du sacrement de pardon, c’est la dynamique du kyriedans nos célébrations eucharistiques. Nous sommes là à l’opposé de la dynamique perverse de revisiter les blessures, les douleurs de l’âme pour éprouver de la souffrance ou de la culpabilité. La pêche miraculeuse fait reconnaître à Pierre la grandeur de Dieu et dans le même temps son état de pécheur. Il tombe aux pieds de Jésus en disant : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ». C’est magnifique : que ce soit notre attitude à nous aussi face à la grandeur miséricordieuse de Dieu ! Simon n’appelle plus Jésus « maître », terme qui fait référence à son enseignement et sa sagesse, mais « Seigneur », c’est-à-dire Dieu ! « Eloigne-toi de moi pécheur » : quelle magnifique attitude d’humilité. Elle revient à dire : « Je ne mérite pas tant de grâces de ta part. Qui suis-je pour que tu t’intéresses à moi et m’appelle ? ». La Parole de Jésus le libère et le délivre : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Voici par excellence une parole qui met en route. « Laissant tout, ils le suivirent », nous dit d’ailleurs Luc en conclusion de notre récit… Reprenons la dynamique :


1. Reconnaître la grandeur de Dieu et tout les dons qu’il me fait : la pêche miraculeuse.

2. Devant la majesté du Seigneur se reconnaître petit, indigne et pécheur « Eloigne-toi de moi, car je suis pécheur »

3. Recevoir le pardon de Dieu comme une grâce qui me libère et me met en route : « Sois en crainte, car désormais ce sont des hommes que tu prendras… ».

4. S’engager à la suite du Christ en s’appuyant non pas sur mes forces, mais sur l’appel de Dieu : « Laissant tout, ils le suivirent ».


N’est-ce pas là justement le sens de la démarche du sacrement de réconciliation telle qu’elle est proposée, au moins depuis Vatican II[2] ? Pour la célébration de l’Eucharistie, le missel propose la belle prière du Kyrie : « Seigneur Jésus, envoyé par le Père pour guérir et sauver tous les hommes... Ô Christ, venu dans le monde appeler tous les pécheurs, etc. » : Nous sommes exactement dans cette dynamique d’appel, de grâce qui nous est faite : nous sommes remplis de cette joie d’être des pécheurs pardonnés. A vrai dire, nous ne retrouvons pas spontanément cette dynamique dans le Confiteor. « Je confesse à Dieu Tout puissant, je reconnais devant mes frères (et sœurs) que j’ai péché, en pensée, en parole, par action ou par omission. Oui, j’ai vraiment péché… Et encore, en français, on a la version « soft ». Dans les autres langues, on se frappe la poitrine trois fois, comme en allemand : « durch meine Schuld, durch meine Schuld, durch meine große Schuld » : on insiste lourdement sur l’aspect de péché et là, on risque fort de tomber dans la culpabilisation. D’où l’importance, si on récite le confiteor, de se mettre au début de l’Eucharistie sous le regard de la grande miséricorde divine. Car le Dieu que révèle Jésus-Christ n’est pas un Dieu pervers, comme ces dieux païens qui se réjouissent des souffrances, des supplications et des pénitences des croyants. De ce Dieu pervers, pour paraphraser Maurice Bellet, il vaut mieux être athée ! Sinon, ma foi risque de s’égarer dans le perfectionnisme, les scrupules, la rigidité, elle devient intolérante et culpabilisante.


Dans l’examen de conscience, qu’on appelle relecturedans le jargon ignatien, Saint Ignace propose cinq points, cinq étapes pour relire notre journée. La première est de « rendre grâce pour les bienfaits reçus »[3], c’est-à-dire de se mettre sous le regard bienveillant du Dieu de miséricorde. Et si je ne suis pas capable de faire cela, il est recommandé de ne pas passer au deuxième point. Donc si je n’ai pas fait dans ma vie l’expérience de me sentir pécheur devant la grandeur et la grâce du Dieu de Miséricorde, alors je n’essaie pas d’aller plus loin, mais je demande la grâce de recevoir et d’accueillir la miséricorde divine. Dans un deuxième point, je demande la grâce de « connaître mes péchés pour les rejeter ». C’est bien d’une grâce dont il s’agit, car je demande en fait de regarder ma vie non pas avec mes yeux qui sont souvent durs, voire impitoyables, mais avec les yeux de Dieu. Ce n’est qu’ensuite, dans une troisième phase, que je repasse ma journée, je me remémore mes pensées, paroles et actes pour rendre grâce pour le positif et demander pardon pour ce qui n’a pas bien été. Et enfin, je « forme le propos de m’amender avec sa grâce ».


Nous ne sommes donc pas dans une démarche culpabilisante ou volontariste, non, nous sommes comme Isaïe, Simon-Pierre, Paul et tous ces saints qui se sentent petits devant la grandeur de Dieu et sa grâce. Ils se savent « pécheurs pardonnés », ce qui est peut-être la définition la plus juste d’un chrétien : être pécheur pardonné, cela me libère, car je ne dois plus compter sur mes forces, mais bien sur l’appel du Seigneur qui me choisit pour « le suivre et l’imiter »[4], comme dirait St Ignace. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas là la clé de la joie chrétienne, la joie du pécheur pardonné, libre et confiant. AMEN.

[1]Le premier Isaïe (ch 1 à 39) est prophète avant l’exil à Babylone. Le livre daterait du 7è siècle…

[2]Cf. le Nouveau Rituel : Célébrer la Pénitence et la Réconciliation, 2003.

[3]Exercices Spirituels, n°43.

[4]Exercices Spirituels, n° 109.

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